Cette reprise de Manon aura connu bien des vicissitudes avant que le rideau ne se lève finalement ce vendredi 11 février sur la soirée d’ouverture, avec six jours de décalage. En effet, la première, initialement prévue le 5, a été annulée en raison de la détection de nombreux cas positifs à la Covid 19 au sein de l’orchestre, et la générale, également annulée pour les mêmes raisons, a pris la place de la deuxième représentation. Auparavant, le ténor initialement prévu dans le rôle de Des Grieux avait dû renoncer à sa participation au spectacle. Trois ténors ont alors été engagés pour le remplacer, Roberto Alagna qui ne chantera finalement qu’un seul soir, Benjamin Berheim et Attala Ayan.
Est-ce à cause de ces contretemps, récurrents ces derniers mois, que durant presque toute la représentation nous avons eu le sentiment que le cœur n’y était pas ? Certes, les interprètes faisaient leur travail avec application, heureux de pouvoir enfin chanter devant le public mais en même temps lassés, nous a-t-il semblé, par toutes les contraintes qu’ils subissent depuis deux ans pour parvenir à exercer leur art. A moins que la direction d’orchestre lisse et académique mais néanmoins précise de James Gaffigan ne soit en cause ?
L’équipe réunie pour la circonstance, moins spectaculaire qu’en mars 2020, n’en comporte pas moins des chanteurs émérites qui ont fait leurs preuves. Les seconds rôles, dans leur ensemble, n’appellent aucune remarque particulière. Rodolphe Briand retrouve le personnage de Guillot de Morfontaine qu’il avait déjà incarné avec malice il y a deux ans, Marc Labonnette est un Brétigny haut en couleur dans ses improbables costumes. Andrea Cueva Molnar, Ilanah Lobel-Torres et Jeanne Ireland forment un trio de courtisanes accortes et frivoles à souhait. Jean Teitgen possède une voix bien timbrée et un grave sonore, son Comte Des Grieux à la fois noble et bienveillant lui vaudra une salve d’applaudissements nourris au rideau final. En revanche, le Lescaut d’Andrzej Filończyk nous a paru quelque peu falot. Le baryton polonais possède un timbre clair et un medium solide. Si la voix n’est pas très puissante, il parvient néanmoins à se faire entendre, mais son personnage demeure constamment en retrait.
Atalla Ayan possède un timbre chaleureux et une diction acceptable. Sa ligne de chant élégante et soignée, la délicatesse de ses demi-teintes, en particulier dans le duo de Saint-Sulpice et la rondeur de ses aigus lui permettent d’incarner un Des Grieux touchant. Le songe (« En fermant les yeux ») est chanté mezzo-forte avec un legato accompli, et son grand air « Ah fuyez douce image » n’appelle aucune réserve sur le plan vocal. En revanche, l’on aurait souhaité qu’il y insuffle davantage de passion. A ses côtés Ailyn Perez campe une exquise Manon. La soprano américaine est dotée d’un timbre crémeux qui culmine sur un aigu brillant, toutefois les vocalises de son entrée au deuxième acte demeurent timides. Elle est capable d’émettre de jolis sons filés qui font merveille dans le duo de Saint-Sulpice, dont on peut cependant regretter qu’il soit dépourvu de sensualité. Sa « petite table » en revanche est émouvante à souhait. Quant à sa diction, somme toute correcte, elle est encore perfectible. Les chœurs préparés par Alessandro Di Stefano n’appellent que des éloges pour chacune de leurs interventions.
Manon © Emilie Brouchon – Opéra national de Paris
La transposition dans les années 20 fonctionne d’autant plus qu’elle nous vaut des décors monumentaux et des costumes somptueux aux teintes vives, chaleureusement applaudis lorsque le rideau se lève sur le Cours-la-Reine, Vincent Huguet a modifié le dénouement par rapport à la première série de représentations. Cette fois, Manon ne finit pas fusillée mais repart pour Le Havre avec les soldats, après son duo avec Des Grieux. En revanche la chanson de Joséphine Baker, interpolée entre deux tableaux, paraît d’autant plus incongrue, passé l’effet de surprise. De même, ce clone de la chanteuse d’origine américaine, mi-figurante, mi-danseuse qui joue les entremetteuses, n’apporte rien à l’intrigue tout comme les travestissements de Brétigny qui, pour amusant qu’ils soient, ne collent pas avec son personnage.