Il a bien eu lieu, le retour sur scène d’Anna Netrebko, annoncé avec impatience par la presse internationale, un mois après que la guerre en Ukraine l’ait contrainte à renoncer à tous ses engagements ! Il a eu lieu dans Manon Lescaut à Monaco.
Entre temps, la soprano star russe a condamné la guerre et, en conséquence, été bannie par la Douma et déprogrammée par les théâtres russes. C’est ainsi qu’elle a accepté de venir remplacer à Monaco, Maria Agresta, souffrante.
L’image la plus forte de la soirée fut celle de la toute fin où, au moment des saluts, Anna Netrebko s’inclina avec tous les protagonistes, sous l’image d’un drapeau ukrainien projetée au dessus de la scène. Ca va faire du vilain au Kremlin !
Quelques minutes plus tôt, elle avait été éblouissante dans son air « Sola, perduta, abandonnata ».
Ne s’est-elle pas sentie elle-même « sola, perduta, abandonnata » comme son personnage, ces dernières semaines, Anna Netrebko, écartelée entre ceux qui lui interdisaient de chanter, ceux qui la poussaient à reprendre, ceux qui lui reprochaient de s’être reniée ? Insupportable position des artistes, au milieu de tragédies politiques qui les dépassent, dont ils ne sont ni complices, ni soutiens !
C’est dans ce contexte aux émotions exacerbées qu’elle nous offrit ce qu’elle a de plus cher : le trésor de sa voix. Et l’on fut comblé.
D’une égale beauté du grave à l’aigu, sa voix suit en souplesse les contours de la phrase puccinienne. On admire sa maîtrise du souffle, la justesse de ses inflexions, le velours de son timbre, la juste expression de ses émotions – ici retenue, là explosive. Sa romance du II, « In quelle trine morbide », dont il faut attraper sans défaillir les notes aiguës en cours de phrasé, nous donna le frisson.
Elle retrouvait en Des Grieux son propre mari, Yusiv Eyvazov, l’un des ténors les plus impressionnants du moment, à la voix puissante, claironnante et cuivrée. Son émission est éclatante, il est éblouissant dans le drame, le tragique lui va bien ! Il a fait trembler les murs dans son « No! pazzo son » du III. On eut droit à des duos d’amour plus vrais que nature.
Tout cela se déroula dans une mise en scène de Guy Montavon, qui, transposée à l’époque contemporaine, présentait quelques étrangetés.
1er. acte © Alain Hanel
Le personnage de Géronte, chez qui Manon part vivre dans le luxe au deuxième acte, n’ est pas le vieux financier habituel mais un sculpteur plurôt jeune, fier de sa musculature, désireux de statufier son égérie. Lors de la scène sur le quai du Havre, où les prostituées sont envoyées en Amérique, on assiste à une sorte de tribunal présidé par le même Géronte, lequel remplace le capitaine du bateau prévu à cet endroit. Quant à la scène finale, on est privé de désert – oui du désert où Manon et Des Grieux sont censés se retrouver à l’agonie. La scène est alors partagée en deux : d’un côté un cachot dans lequel Manon délire et, de l’autre, une chambre d’étudiant dans lequel Des Grieux désespère. « Embrasse-moi !» chante Manon. Mais les amants sont séparés par une cloison. Il faut comprendre !
L’ensemble de la distribution est de qualité.
Le baryton Claudio Sgura, dont le timbre est quelque peu ingrat, assume avec panache le rôle du frère de Manon, et nous offre un beau duo avec sa soeur au II. La basse Alessandro Spina est convaincante dans le rôle de Géronte. Luis Gomes apparaît avec aisance en étudiant parisien. On note au passage les brèves et jolies interventions de Loriana Castellano en maître de musique.
Mais le vrai maître de musique est dans la fosse : c’est Pinchas Steinberg, ce vieux routier de l’art lyrique qui, à 76 ans communique un beau dynamisme au chœur et à l’orchestre.
On n’oubliera pas de sitôt la Lescaut de Netrebko à Monaco.