Les apparences sont parfois trompeuses et, en matière d’opéra, peut-être ne faut-il pas juger d’une représentation sur son premier acte. La nouvelle production de Manon Lescaut à l’opéra de Liège, signée Stefano Mazzonis di Pralafera, débute de manière guère enthousiasmante. La mise en scène se veut respectueuse du livret, même si elle situe l’action plutôt à l’époque de composition que dans le XVIIIe de l’Abbé Prévost. Si l’auberge à Amiens et les riches salons parisiens de Géronte font illusion, il n’y a plus guère de doute quand Manon est embarquée pour la Louisiane sur un transatlantique à aubes. La direction d’acteur se borne à gérer des entrées et sorties de scène sans surprise, et ne corrige pas certains des travers de la distribution. Ainsi Ionut Pascu surjoue d’autant plus que son Lescaut est effacé vocalement, la faute à un aigu limité et un medium parfois inaudible. A l’inverse Marcel Vanaud, basse sonore, campe un Géronte charismatique. Le chevalier Des Grieux peut compter sur l’engagement et la puissance vocale de Marcello Giordani mais doit faire son deuil des nuances. Notre étudiant, au timbre acidifié, ne sait que trompeter et maitriser tant bien que mal un vibrato récalcitrant. Sans surprise, dès la supplique du troisième acte, il lui faut s’abïmer dans des effets véristes caricaturaux. Ajoutons à cela un premier acte mené tambours battant par Speranza Scapucci au prix de relief orchestraux complètement aplatis et l’on se dit que l’affaire est mal engagée.
© Lorraine Wauters
Pourtant, au retour du premier entracte la soirée prend une autre ampleur. Le mérite en revient avant tout à Anna Pirozzi. La soprano italienne, en prise de rôle, compose un portrait très réussi de la jeune insouciante, légère, vénale et passionnée. « In quelle trine morbide » sur un fil piano, joliment orné, déclenche les premiers applaudissements francs de la salle. Le tempérament de la chanteuse, l’insolence de ses aigus, l’épaisseur du timbre et la longueur de souffle lui autorisent ensuite tous les climax comme toutes les demi-teintes. Seul son grand air du dernier acte reste une démonstration technique et manque encore d’abandon, ce qui est d’autant plus surprenant que tout le rôle est déjà chanté avec naturel et intensité.
Dans son sillage, Speranza Scapucci charpente son orchestre avec une toute autre profondeur et parvient, dans le même temps, à maintenir une vitesse d’exécution globale rapide, sans décalage et surtout en parfait respect de la balance avec le plateau. Malgré des cuivres sans brillant et une petite harmonie peu précise, des couleurs et de beaux phrasés lyriques font leur apparition dès le grand du duo du deuxième acte. Le final haletant de celui-ci finit de placer tous les acteurs sur une belle trajectoire que viendront confirmer un prélude du troisième acte très dramatique et un dernier acte tout en pathos.