Si la symphonie n°2 est une œuvre polymorphe par la durée de sa composition et les options que retient Gustav Mahler au fil du temps, la lecture qu’en a donné Tugan Sokhiev à la tête de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse à la Philharmonie de Paris le 11 février s’avère encore plus éparse et peine à lier les mouvements en un tout organique. Ainsi, il entame la « fête des morts » dans un geste plutôt classique lent et solennel. Pourtant, très rapidement après la première exposition, le mordant des contrebasses contamine le reste de l’orchestre : dramatisme et déclamation prennent le dessus. L’agitation, la fureur et des contrastes très marqués prédominent sur de brefs moment d’accalmie portés par les violons et le thème musical que l’on retrouve dans le dernier mouvement. Une marche des morts qui devient surtout une marche en avant aux accents quasi wagnériens. C’est une option de lecture et elle réserve de beaux tutti où l’orchestre massif explose en paroxysmes concentrés. Après une pause de quelques minutes comme le souhaitait le compositeur, le chef russe propose un andante moderato à l’opposé, lent et calme, bien assis sur le soyeux des cordes où le cantabile des violoncelles fait merveille. Le mouvement est presque traité comme une musique de ballet aimable (la reprise du thème en pizzicati par exemple), pleine de rubato.
C’est dans le scherzo central que ce que l’on pressentait dans les premiers mouvements apparait au grand jour. Ici, et même si les attaques et la préparation de l’orchestre est irréprochable, il faudra faire le deuil de l’ironie et tout ce qui fait le sel des scherzo mahlériens. Nous voici dans une gentille galéjade entre gens de bonne compagnie qui égrène ses ficelles efficaces mais sans saveur particulière : contrastes entre les pupitres, variations immédiates de nuances. Il ne reste donc que la manière qui frise le maniérisme trop souvent en omettant de travailler les couleurs.
Heureusement la partie vocale des deux derniers mouvements apportent son lot de satisfactions. Christa Mayer au premier chef, dont le mezzo clair bénéficie d’une projection remarquable, à fortiori dans l’acoustique piégeuse pour les voix dans la Grande Salle Pierre Boulez. Sa diction est remarquable et entonne ce texte extrait des Knaben Wunderhorn avec autant d’élégance que d’émotion contenue. L’orchestre seconde ce lied mélancolique avec douceur et poésie.
La première partie du dernier mouvement, dévolu à l’orchestre, prolonge les problèmes rencontrés précédemment. Le grandiose retenu pour la « fête des morts » initiale a perdu de sa superbe, dû en partie à une certaine fatigue chez les instrumentistes, les bois au premier chef. En conséquence, Tugan Sokhiev parvient plus difficilement encore à donner un sens global à son orchestre et se cantonne à en organiser la bonne marche. Il est contraint à une lecture assagie, peu fouillée et dont l’ascension métaphysique n’est guère perceptible. L’entrée du chœur Orfeon Donostiarra, remarquable formation amateur, sur un piano diaphane et homogène replace ce dernier mouvement sur une trajectoire plus juste. Il ne reste plus à Jeanine De Bique qu’à déposer des lignes de chant pures avec l’abandon qui sied pour parfaire l’ouvrage. Tout juste lui reprochera-t-on une prosodie moins léchée que celle toujours impériale de Christa Mayer. Si la soprano possède un timbre très personnellement caractérisé, il s’approche par la couleur de celui de la mezzo et conduit ce mouvement « résurrection » vers des rivages inquiétants.