Au Théâtre des Champs-Elysées, dans la plus longue des symphonies de Gustav Mahler – la n° 3 –, nous nous réjouissions d’entendre Robin Ticciati, qui suit depuis quelques années la trajectoire de ces chefs trentenaires ayant déjà tout des grands. Puis il a annulé, et nous nous sommes réjouis d’entendre, à la place du jeune prodige, un glorieux vétéran en la présence d’Edo De Waart. Puis il a annulé, et nous nous sommes réjouis de la perspective de découvrir Robert Spano, également pianiste et compositeur, directeur musical de l’Orchestre d’Atlanta.
Assistant de Seiji Ozawa à Boston au début des années 1990, Robert Spano semble avoir retenu du maître son sens poussé du détail allié à un goût très sûr pour la clarté, mais pas tout son souffle ni son art des reliefs : ainsi l’immense geste panthéiste qui ouvre la partition (quarante minutes, un amalgame de rythmes et d’atmosphères : une oeuvre dans l’oeuvre) nous apparaît-elle ce soir comme une succession de tableaux savamment ordonnée, mais dont nous ne distinguons ni traits saillants, ni arrière-plan, ni lignes de fuite. « Ne regardez pas le paysage, il est tout entier dans ma partition ! » aurait lancé Mahler à Bruno Walter venu le visiter pendant ses séances de composition estivales à Steinbach am Attersee. S’il y a quelque chose de véritablement admirable à obtenir de tels aplats, un tel fondu dans ces pages si hérissées, l’auditeur n’en sort pas sans une petite frustration – du genre de celle que l’on ressent, lorsque s’attendant à boire un grog, on s’aperçoit que notre tasse contient une infusion à la camomille.
Les deux mouvements suivants montrent pourtant tout ce que l’Orchestre National de France peut apporter à ce répertoire. La limpidité des cordes, des premiers et seconds violons notamment, dans le jeu de questions réponses où les embarque le Scherzo, le naturel des bois, la relative discrétion des cuivres, relégués par l’acoustique du Théâtre des Champs-Elysées dans un étrange lointain : tout cela dessine un Mahler à la pointe sèche, détaillé plus que coloré, presque uniforme, mais pourtant animé d’une véritable énergie intérieure – alors même que Spano se permet, tout du long, une grande retenue, mettant près d’une heure et cinquante minutes à écouler l’oeuvre. Et le Lied confirme. Anna Larsson connaît son Nietzsche par coeur, qu’elle enregistre depuis vingt ans (avec Salonen, Abbado et Gergiev). Elle le donne avec une céleste tranquillité, un refus heureux de dramatiser le propos, soutenu par un phrasé souverain. La voix, d’un vrai contralto, ne manque jamais de souffle, parfois d’un soupçon de stabilité. Coincé au fond de la conque, plus fournie en voix féminines qu’en pupitres enfantins, le Choeur en revanche ne se trouve guère à son meilleur durant les quatre petites minutes de musique enchanteresse qui lui reviennent, et ce n’est que dans le final, où l’alanguissement des tempi trace un chemin pour harmoniser le propos, qu’un voile se lève et que l’on ose, enfin, jeter un oeil au paysage…