Le Théâtre des Champs Elysées reconstitue pour une soirée la magie du Théâtre d’Orange en accueillant les protagonistes de la Madama Butterfly présentée à l’été 2016 (au Goro près, Carlo Bosi étant remplacé par Mikeldi Atxalandabaso). Manque seule à l’appel la mise en scène de Nadine Duffaut, mais cette absence ne nuit en rien au spectacle tant les chanteurs semblent encore habités de leur personnage.
Ermonela Jaho (Cio Cio San) et Bryan Hymel (Pinkerton) retrouvent ce soir des rôles qu’ils ont déjà chantés sur de nombreuses scènes, séparément, ou ensemble, à Orange donc, mais également plus récemment à Peralada.
On met du temps à s’habituer au timbre mat et parfois engorgé du ténor américain. Son Pinkerton a pour lui une grande solidité (le si bémol de son « Addio fiorito asil » est une formalité), et on pourra mettre sur le compte de la désinvolture du marin américain le côté uniformément bravache et les quelques coups de glotte. On apprécie d’autant plus les efforts d’allègement que fait le chanteur dans le duo de la fin du premier acte, en symbiose avec sa partenaire.
Aucun doute ni réticence en revanche concernant Ermonela Jaho : dès son entrée elle est Butterfly. La silhouette frêle, le timbre prenant, cette douceur mêlée à de brusques éclats nous mettent immédiatement en présence de la jeune fille, tour à tour malicieuse, éperdue, puis brisée. La technique est manifestement souveraine (allègements impalpables, aigus dardés, belle projection sur toute la tessiture) mais toujours au service de l’expressivité. Alors oui on pourra toujours pinailler, par exemple sur quelques sanglots inutiles au dernier acte, mais l’intensité de l’engagement de la soprane albanaise brûle tout sur son passage et plus d’un spectateur aura essuyé discrètement ses yeux au moment des saluts (voire bien avant !).
Mikko Franck semble vouloir préserver l’intimité de ses chanteurs dans les scènes clef, notamment le duo d’amour de l’acte 1 : dirigeant la plupart du temps assis, le chef se lève alors et descend de son pupitre, comme pour ne pas déranger les personnages. On retrouve ce tact dans sa direction ; s’il n’hésite pas à faire sonner son orchestre Philarmonique de Radio France, dont les cordes tantôt soyeuses tantôt grinçantes sont particulièrement expressives, il sait également alléger la pâte orchestrale afin de ne pas couvrir ses chanteurs. Au diapason d’Ermonela Jaho, il nous emporte par sa précision et son lyrisme, accompagnant au plus près les affres de l’héroïne. Le Chœur de Radio France séduit tout autant, offrant en particulier un chœur à bouche fermée d’une grande poésie.
Avec sa grande personnalité, Marie Nicole Lemieux fait craquer les coutures de Suzuki, dont elle épouse sans peine les différents aspects, mutine parfois, maternelle surtout. Elle partage cette humanité avec le beau Sharpless de Marc Barrard. Le bonze de Wojtek Smilek est tonitruant à souhait, tandis que le petit nouveau, Mikeldi Atxalandabaso, tire parfaitement son épingle du jeu en Goro, sonore et sournois. Valentine Lemercier (Kate Pinkerton), Christophe Gay (Yamadori) et Pierre Doyen (le commissaire) complètent enfin sans déparer cette distribution vif argent.