Créé à Bordeaux en 2012 puis à Nancy, qui coproduisaient le spectacle, ce Macbeth passa ensuite par Toulon en 2014 avant d’occuper aujourd’hui la scène du Capitole. Jean-Louis Martinoty étant décédé en 2016, sa mise en scène est reprise par Frédérique Lombard. Quelle a été sa marge de manœuvre ? Probablement assez grande, par exemple dans la suppression de l’amoncellement de cadavres qui au prélude plaçait l’œuvre sous le signe de l’horreur au risque de frôler le grand-guignol. Par ailleurs, les moyens techniques des deux théâtres expliquant peut-être la différence de perception, le fonctionnement du dispositif scénique nous a semblé bien meilleur et certains effets – l’apparition du spectre de Banco – mieux réalisés. Par suite l’empreinte théâtrale trouvée alors insistante, voire laborieuse, a beaucoup gagné en fluidité et « colle » étroitement à la musique. Sans prétendre à une quelconque « modernité » ou à une révélation fulgurante d’un sens caché, elle n’en a pas moins un cachet personnel grâce à l’importance que Jean-Louis Martinoty donne aux sorcières. En les montrant omniprésentes dans l’ombre des protagonistes, qui ne les voient pourtant que lorsqu’ils les cherchent dans les lieux spécifiques en marge des humains, il expose une mentalité où la crainte du surnaturel fait croire aux prodiges, aux prédictions et aux apparitions. Il y réussit en créant pour Lady Macbeth une proximité avec les sorcières, par le biais de l’arbre renversé – décors de Bernard Arnould – autour duquel elles dansent. Ce symbole de l’univers, dupliqué par le globe terrestre avec lequel elles jouent, est présent au château, où ses feuilles terminales semblent un lustre qui grandit ostensiblement quand la Lady est seule, sans témoins. Cela explicite sa relation avec le surnaturel et fait d’elle, très pertinemment, une cousine d’Ortrud.
Le dispositif scénique permettant l’enchaînement des scènes par de rapides précipités, la tension musicale n’a pas le temps de retomber. Choisi pour remplacer Daniel Oren, primitivement annoncé, Michele Gamba avait intéressé par son tempérament dans une Armida montpelliéraine. Il semble ici complètement à son aise dans une partition dont il met en lumière les couleurs et les accents, avec vigueur et précision. On pourrait çà et là souhaiter davantage de sfumato mais ce parti-pris révèle sans faille tous les reliefs voulus par Verdi en évitant l’écueil des lourdeurs possibles. C’est musclé, dynamique, mais jamais précipité. L’orchestre répond superbement : cuivres somptueux, vents lugubres, cordes grinçantes à souhait, c’est un festival de nuances sonores et de couleurs instrumentales qui fait s’interroger sur la relative rareté du titre à l’affiche tant la séduction musicale est péremptoire.
Béatrice Uria-Monzon (Lady Macbeth) © Patrice Nin
Sans doute l’absence d’histoire d’amour explique-t-elle que l’œuvre n’ait jamais atteint la popularité d’autres titres verdiens. Sans doute aussi l’écriture « monstrueuse » pour le monstre qu’est celle qui donne l’impulsion meurtrière à son mari effraie-t-elle à juste titre. Les remords lui sont étrangers : seuls ces souvenirs qui résistent – la couleur et l’odeur du sang sur ses mains – la troublent dans son sommeil. Pour cette damnée au plan moral Verdi a écrit un rôle monstrueux, c’est-à-dire hors normes, par l’amplitude qu’il réclame, par l’agilité virtuose nécessaire, par la force des accents ou les suavités des insinuations et par le poids dramatique. Dans sa volonté d’aborder des rôles a priori éloignés de son amplitude de mezzosoprano, Béatrice Uria-Monzon a pris le risque d’affronter celui de Lady Macbeth, et elle sort victorieusement de l’épreuve. Il y aura probablement des discussions âpres sur la fameuse note à laquelle pour certains se résume le rôle, mais au-delà de ce point de détail on peut souligner la netteté de l’émission, l’homogénéité des registres qui rend inaudible les passages, la clarté initiale de l’articulation, par la suite moins parfaite, et la fermeté de la projection qui campe aussitôt la « maîtresse-femme » tout en emplissant la salle et en gardant à la voix toute sa présence dans les ensembles. Et, comme à l’accoutumée, le personnage est incarné totalement par la vigilance minutieuse de la composition scénique, digne d’une grande actrice.
Son Macbeth n’atteint pas, en tout cas pour nous, à la même altitude. Vitaliy Bilyy est un baryton apprécié au Capitole, où il chante pour la cinquième fois depuis 2012. Il a de la prestance et une voix étendue et ferme, qui peut sonner claire ou plus sombre. Son italien est à présent pratiquement irréprochable. Mais…d’un rôle à l’autre, l’expressivité ne nous semble pas précisément nuancée, comme si enfler ou diminuer la voix était un horizon indépassable. En outre ce chanteur ne semble pas toujours maîtriser son émission, les notes tenues révélant d’infimes variations du souffle qui altèrent très légèrement l’homogénéité et la couleur du son. Au-delà de ces remarques, la prestation reste de haute tenue. Aucune réserve en revanche pour le Banco de In Sung Sim, basse profonde que l’on aimerait entendre plus longuement. Beau Macduff, également, de Otar Jorjikia, qui chante son air avec une énergie rare. Dans la brève apparition de Malcolm au dernier acte on remarque le timbre et la projection de Boris Stepanov. Quant à Emmanuela Pascu elle donne toute la dimension possible au personnage de la dame d’honneur. Dans les rôles des comparses – serviteur, assassin, héraut, médecin – des artistes du chœur et dans ceux des apparitions des artistes de la maîtrise dont les interventions confirment le haut degré de leur préparation. Les artistes du chœur subjuguent une fois encore par la qualité de leur prestation, d’une rigueur impeccable et exemplaire. Dans un opéra où ils sont omniprésents, ils contribuent à porter l’exécution au plus haut. Seul (petit) regret, le chœur des sorcières a renoncé à nasiller pour s’enlaidir : on en a rarement entendu d’aussi harmonieux !
La réussite du spectacle suffirait à donner le sourire. Mais il vient aussi pour un autre motif : en ce dimanche de Pentecôte favorisé par le beau temps le théâtre était comble ! Nous traitera-t-on d’illuminé s’il nous plait d’y voir comme le symbole de l’Esprit saint contre l’esprit du Mal ? Les forces artistiques vivantes contre l’assaut d’un monde qui les nie ? Quel bel exemple de résistance que ce succès !