Quelle est la raison d’être d’un festival si ce n’est oser des propositions originales car interdites aux scènes coutumières ? Le Festival Verdi à Parme l’a compris, lui qui programme cette année Le Trouvère en français et Macbeth dans sa version originelle de 1847. La création parisienne de ce dernier opéra au Théâtre lyrique en 1865 servit de prétexte au compositeur pour réviser une partition qu’il jugeait perfectible. Peu de choses en somme mais une somme de choses qui firent la différence. Cette nouvelle mouture, traduite en Italien à la Scala de Milan en 1874, s’est imposée. La substitution de la cabalette guerrière « Trionfai » au deuxième acte par la venimeuse « Luce langue », l’ajout du ballet au troisième acte et d’un nouveau finale au quatrième font partie des modifications couramment citées. Il y a plus encore, des phrases par-ci, par-là, nombreuses dans le duo du premier acte entre Macbeth et sa Lady, ou carrément l’intégralité du chœur « Patria oppressa », sublime déploration envisagée initialement comme une pâle resucée de « Va pensiero ». Mieux qu’une description, il faut l’écoute pour apprécier la progression et constater les défis supplémentaires posés au couple maudit par cette version originale : l’écriture plus meurtrière du rôle de Lady Macbeth et celle plus éprouvante de son époux.
Pouvoir ainsi comparer et mesurer l’évolution du génie verdien s’avère une expérience captivante, à condition de disposer d’interprètes à la hauteur de l’enjeu. Anna Pirozzi comme Luca Salsi, les titulaires des deux rôles principaux, ont Verdi inscrit dans leurs gênes. Cette musique ne leur est pas seulement maternelle ; elle irrigue leur parole chantée et donne à chacun des mots leur juste sens. Du théâtre lyrique ? Oui, chacun à leur manière, avec les moyens imposés par des partitions monstrueuses. Pour le baryton, un phrasé généreux, un ambitus héroïque et, du grognement livide au rugissement le plus spectaculaire, une palette de couleurs comparable à celle des fresquistes dont les compositions monumentales ornent les voûtes des églises parmesanes. Qui du rôle ou du chanteur dévorera l’autre ? Sans céder à la tentation d’un expressionnisme peu verdien, Luca Salsi habite si intimement chaque note de son Macbeth qu’il nous sera désormais difficile d’envisager une autre interprétation sans la mesurer à l’aune de la sienne.
Pour la soprano, le combat se déroule sur un champ de bataille hérissé de vocalises périlleuses qu’Anna Pirozzi cisèle une à une sans jamais tenter de contourner la difficulté, sans même éprouver le besoin d’ornementer les reprises car toute variation décorative pourrait sembler détourner cette Lady insatiable de son objectif. Là encore, on coudoie une forme d’idéal : une technique aguerrie placée au service d’une caractérisation intense dont la tension se libère en un brasier de coloratures. Par comparaison, la scène de somnambulisme brûle d’un feu moins aveuglant. Cette Lady impérieuse quitte la scène, vaincue, sur un contre-ré bémol fragile.
© Roberto Ricci
De l’expérience et de la complémentarité du couple – lui extraverti, elle introvertie – naît le drame sans que la mise en scène n’influe d’une quelconque manière sur les rapports de force ou n’offre un parti-pris de lecture. Avec des costumes passe-partout et, en guise de décor, les pièges acoustiques que sont des rideaux de pluie et de toile plastifiée, le travail de Daniele Abbado s’apparente à une version de concert agrémentée de jeux d’eau et de matière.
Ni Michele Pertusi, ni Antonio Poli n’outrepassent les prérogatives de rôles secondaires : Banquo moins imposant qu’élégant ; Malcom d’une simplicité juvénile dont la voix égale ne s’embarrasse pas de sentiments.
L’orchestre et les chœurs respirent de concert avec la partition. Le contraire eut été étonnant tant l’empreinte de Verdi demeure présente en ce Teatro Regio où Macbeth fut représenté dès 1849. Les sicaires s’autorisent des effets que l’on réserve d’ordinaire aux sorcières mais c’est la battue inflexible de Philippe Auguin que l’on retient, dépourvue d’artifices risorgimentaux et autres facilités souvent taxées de vulgarité. On le sait depuis Toscanini, autre enfant du pays dont on peut visiter à Parme la maison natale : là est le secret.