L’opéra est-il d’abord théâtre ou musique ? Cette question, récurrente dans l’histoire de l’art lyrique, Verdi semble se la poser pour la première fois avec Macbeth, sortant du cadre établi par ses prédécesseurs, piétinant les cabalettes, démembrant les formes conventionnelles dans le seul but de renforcer l’impact dramatique de son propos. Musique encore dans une écriture où s’agite en un dernier soubresaut le cadavre du bel canto, théâtre déjà par le pouvoir d’une écriture qui, malgré les quelques égarements du livret, s’essaye à marcher dans les pas de Skakespeare. Dans cet entre-deux d’autant plus délicat que l’équilibre est difficile à atteindre, comment ne pas prendre le parti imposé par une époque – la nôtre – où les chanteurs capables de rendre justice à une telle partition sont devenus rares (mais ont-ils jamais été courants ?).
C’est ainsi du moins que l’on comprend les choix interprétatifs de Susanna Branchini et Roberto Frontali, couple Macbeth parfaitement assorti dans une approche d’abord expressive de leur rôle. Le mot importe avant tout pour l’un comme pour l’autre. En témoignent les multiples intentions dont les deux chanteurs font usage, du cri au chuchotement, de sons livides ou au contraire hurlés : elle, s’appliquant cependant à ne pas simplifier les vocalises, osant même des aigus filés – jusqu’au fameux contre-ré bémol dans la scène de somnambulisme – longuement tenus au risque de déraper ; lui, assumant les notes les plus exposées, quitte à frôler l’accident lors des apparitions du troisième acte. Unis vocalement, unis scéniquement par un investissement extrême, sans concession, dans un rapport communément admis mais rarement aussi tangible d’une Lady démoniaque, dominatrice, inassouvie et d’un Macbeth plus agé, courageux mais entièrement sous emprise sensuelle.
Autour d’eux, une dame d’honneur moins suivante que d’habitude – Sophie Pondjiclis, mezzo-soprano issue de l’Ecole d’art lyrique de l’Opéra de Paris – ; un Banquo efflanqué – Andrea Mastroni dont on met la minceur du registre supérieur sur le compte de la jeunesse – ; un Malcolm qui parvient à exister avec le peu concédé par Verdi – Jérémy Duffau, bientôt à Strasbourg, Toulon et Saint-Etienne dans des petits rôles, en attendant les grands – et un Macduff – Jean-François Borras – dont l’interprétation de son seul air, un des plus beaux que Verdi ait confié à la voix de ténor, justifie à elle seule le déplacement. Soudain, le chant reprend ses droits : le timbre, la ligne et l’égalité sur toute cette ligne, le phrasé, l’accent sans que pour autant ne soit négligée la vérité de l’expression. Comme quoi…
© Vincent Pontet
Théâtre ou musique ? Daniele Gatti ne répond pas. La dissemblance entre l’engagement dramatique du Chœur de Radio France, au diapason des chanteurs, et la tempérance affichée de l’orchestre est schizophrénie. D’un côté, hommes et femmes, confondus ou non – sorcières, sicaires – sculptant le son comme pour lui donner forme ; de l’autre une volonté de gommer les arêtes, réfréner les ardeurs, endiguer le flot mélodique, attiédir une lecture que l’on voudrait de sang et de fureur ou, du moins, pour reprendre les propres mots du chef d’orchestre dans le programme : rugueuse, terreuse…
Invité en Italie, en Angleterre, en France aussi (Falstaff au Théâtre des Champs-Elysées en 2008, c’était déjà lui), Mario Martone est un faiseur d’images. C’est du moins ce que l’on retient ici d’une mise en scène sombre, psychanalytique mais illustrative au point d’user de la vidéo pour représenter ce que l’on n’est pas censé voir : le spectre de Banquo, les apparitions… Pas de décor mais des accessoires en accord avec le livret, une recherche aboutie de mouvement, deux chevaux et quelques indéniables réussites visuelles, telle la valse lente entre Macbeth et son épouse au finale du premier acte ou la forêt de Birnam comme inspirée d’un film de Murnau. Images, parmi d’autres, dont le traitement apporte une réponse inattendue à notre question initiale : théâtre ou musique ? Cinéma.