« Cherche billet » : la myriade de panneaux désespérément agités à l’entrée du Bayerische Staatsoper parle d’elle-même. L’effervescence est à son comble : Anna Netrebko chante Lady Macbeth ce 18 décembre, première représentation d’une série de trois in loco et reprise d’un rôle qu’elle a ajouté à son répertoire en 2014. Est-ce l’effet Verismo – ce travail patiemment mené pour adapter sa voix à un répertoire plus dramatique – mais dès son premier air – le redoutable « Vieni ! T’affretta » – l’émission, dans le registre inférieur, n’a plus rien d’artificiel et la projection demeure stupéfiante. Dans cette partition meurtrière et ambiguë, abondamment commentée en raison même de son ambiguïté – soprano ou mezzo ? Belcantiste ou non ? –, Anna Netrebko ne fait pas seulement étalage de santé vocale, elle compose un personnage fascinant et insatiable, ajustant un chant opulent aux enjeux des numéros, mordant et griffant chacune de ses interventions, ciselant le brindisi telle une cabalette donizettienne – trille inclus –, osant dans « La Luce langue » des teintes rougeoyantes, enlaidissant les sons – conformément aux vœux de Verdi – dans une scène du somnambulisme qu’elle couronne d’un contre-ré bémol attendu et piano. Au-delà même de l’interprétation, la chanteuse possède une présence moite et maléfique, un charisme scénique qui, appliqué à l’art du portrait, serait qualifié de photogénique : l’acuité du regard, le port de tête, la souplesse de la silhouette qu’une perruque rousse et des gants longs apparentent à Rita Hayworth.
© Wilfried Hösl
Ce n’est cependant pas Gilda mais Le village des damnés qui a inspiré Martin Kušej. Comme échappé du film de Wolf Rilla, un groupe d’enfants blonds remplace les sorcières. En reléguant le chœur dans la coulisse, le choix s’avère malheureusement préjudiciable à l’équilibre musical. Sur un plateau jonché de crânes, le metteur en scène prend le parti d’illustrer la monstrueuse stérilité du couple Macbeth. C’est ainsi du moins que nous avons compris un propos chargé de symboles difficiles à déchiffrer, dominé par un lustre gigantesque que Lady Macbeth fait osciller, tel un pendule, dans « la Luce langue », seule proposition visuelle un tant soit peu séduisante d’un spectacle conspué en cours de représentation. On peut comprendre que l’exposition de corps nus suspendus par les pieds et de figurants déféquant ne soit pas appréciée de tous. Plus dérangeant, la fin de la scène du somnambulisme est plongée dans l’obscurité. Pourquoi priver l’opéra de son point d’acmé : la sortie de Lady Macbeth sur une note flottante, irréelle dont la pureté peut être signe de rédemption ? Sans être célestes, les voies de la mise en scène sont décidément impénétrables.
Il appartient alors à Franco Vassallo dans un « Pietà, rispetto, amore » simple et découragé d’ouvrir les vannes émotionnelles. Doté d’une voix capable de se plier aux impératifs verdiens, longue, puissante mais dépourvu de férocité, le baryton trace de Macbeth un portrait à la craie blanche sur tableau noir, conforme à une certaine tradition qui veut l’époux ombre malfaisante de l’épouse, main pitoyable et ensanglantée d’une ambition inextinguible.
Hors du couple diabolique, point de salut. Ténor et basse ne disposent chacun que d’un seul air pour caractériser leur personnage. C’est peu pour Ildebrando d’Arcangelo (Banco) dont la voix manque autant de relief que d’autorité, mais suffisant pour Yusif Eyvasof (Macduff) qui, sans transmuter en or le plomb du timbre, montre par un usage bienvenu de la demi-teinte qu’il est capable de nuances.
Attentif aux interprètes, qu’il entoure de tous les égards nécessaires, Paolo Carignani compose avec un orchestre parfois exotique dans ce répertoire et des forces chorales désavantagées par le traitement scénique (mais qui, mieux traitées la veille dans Turandot, n’étaient guère plus convaincantes). Main de fer enfiévrée dans un gant de velours, sa direction empathique parachève le triomphe d’Anna Netrebko, rappelée encore et encore une fois le rideau tombé.