Anna Netrebko à l’affiche de Macbeth de Verdi au Royal Opera House représente sans aucun doute un des sommets de la saison lyrique outre-Manche. Depuis La Bohème à l’été 2015, la soprano russe s’est faite plutôt rare au pays du Brexit. Point de nouvelle production pour attirer la Star, mais un contrat réservé à son époux, distribué en Macduff.
La proposition de Phyllida Lloyd, documentée au DVD, retrouve donc les planches. Celle-ci prend le parti désormais convenu d’un traditionalisme moderne où l’on ne se refuse pas le luxe de costumes en velours, de frocs d’époque et de couronnes dorées sans pour autant dédaigner une machinerie moderne et des chorégraphies de bon ton. Dommage qu’en ce soir de première certains éléments soient récalcitrants : un lit mal fixé ou encore un robinet incontrôlable qui ne lavera aucune main coupable mais glougloutera pendant une dizaine de minutes. Seule idée un rien originale et élégante : les sorcières invisibles et agentes du destin, présentes à chaque scène pour forcer le cours des événements.
Dommage également que l’entourage d’Anna Netrebko ne joue pas dans la même ligue. À commencer par le rôle titre, Zeljko Lucic. Si le baryton est fiable et endurant ce sont bien là ses deux seules qualités. La voix se couvre d’un voile gris et l’émission excessivement nasalisée annihile la moindre possibilité de couleur ou d’accent. Que Macbeth jubile, qu’il craigne, qu’il délire, qu’il meure, tout est chanté monocorde, monotone et monochrome à tel point qu’on se désintéresse tout à fait du sort de ce pâle roi. Ildebrando D’Arcangelo propose un Banco déjà plus musical mais il lui manque encore l’étoffe épaisse, la profondeur dans la pâte vocale qui confère toute sa noblesse à l’ami trahi. Aussi, Yusif Eyvazov ne dépareille pas au milieu de ces chanteurs. Il dispose en atout maître d’un volume considérable, fort utile dans les tutti, et d’un timbre franc (même si peu plaisant à notre goût). En revanche, la ligne et le legato verdien restent plus que sommaires et les tentatives de nuances encore trop rares pour que ce Macduff se lamente et fasse pleurer les pierres. Les seconds rôles (Francesca Chiejina sonore suivante de Lady Macbeth et Konu Kim Malcom viril) tiennent bien leur rang, mais dans cette œuvre leur présence relève quasi de l’anecdote. C’est bien moins vrai du chœur et si ces hommes présentent une belle unité, ces dames sont quelques peu dépareillées et pas tout à fait en place.
© ROH / Bill Cooper
Est-ce la faute d’Antonio Pappano, platement métronomique ? Certes, l’orchestre est rigoureusement préparé, les solistes bien mis en valeur, tout comme les chants et contrepoints. Mais là encore, la pulsation verdienne, la scansion de certains accents toniques pour monter le drame sur ses ressorts font défaut. Et cette langueur contamine le théâtre sur le plateau en même temps qu’elle anesthésie la salle, peu réactive à la fin des scènes ou des actes, alors que les travées de Covent Garden peuvent prendre des allures de stade de rugby.
Reste la Lady Macbeth d’Anna Netrebko, probablement la plus complète actuellement sur le circuit (Anna Pirozzi, dans la seconde distribution, représentant une alternative solide). La Russe détaille à longueur d’interviews ces derniers mois l’évolution de sa voix et les rôles qu’elle envisage à présent. Il semble que la mutation soit rapide : comme le médium et surtout le grave ont gagné en chair et en capiton ne serait-ce que depuis l’Aida salzbourgeoise ! C’est déjà Salomé qu’on entend, et ce sont des rôles de soprano dramatique qu’on voit se profiler au cours où vont les choses. Heureusement que Verdi a voulu un rôle et une tessiture monstres pour sa Lady. Cette aisance dans le bas de la tessiture permet à Anna Netrebko des couleurs rauques et fauves délicieuses pour porter le masque de l’ambitieuse meurtrière. Le tempérament scénique de la soprano emporte l’adhésion sitôt une lecture de lettre maniérée finie. Mais les atouts qui étaient les siens lors de ses triomphes new-yorkais et munichois dans le rôle ne sont plus les mêmes. Sa science bel-cantiste lui résiste parfois, comme dans le premier couplet du brindisi où les pizzicati sont chamboulés et l’aigu final tendu (à l’inverse du second couplet redevenu un modèle de perfection). Si le trille vient toujours égailler la ligne de manière assez miraculeuse, les passages de registres se font plus lentement, ce qui n’est pas un défaut mais une des nouvelles contraintes de cette voix qui doit délaisser certaines des agilités qui étaient sa seconde nature. Pourtant, le contre-ré bémol conclusif de la fin de la scène de la folie éclot dans un piano radieux, dernier feu-follet d’une reine qui triomphe aux saluts.