Liège est désormais un bastion stratégique dans le paysage lyrique. Son directeur revendique un certain classicisme pour les productions de l’institution dont il a la charge. Moue dubitative des uns, soupirs de soulagement des autres… l’Opéra Royal de Wallonie attire peut-être avant tout pour les titres qu’il programme (les valeurs sûres du XIXe siècle, saupoudrées de quelques raretés), le dynamisme de sa directrice musicale et surtout la qualité des distributions réunies davantage que pour les vues de Stefano Mazzonis di Pralafera. Ce Macbeth, vu in loco le 14 juin, le même soir que la retransmission en direct, ne déroge pas à cette règle. Voilà du rutilant ouvrage : costumes chatoyants, chaleurs des lumières, toiles peintes assumées comme cette table de banquet garnie descendue des ceintures pour le bal à la cours de Macbeth… Oui mais, à y regarder de plus près, la façade chatoyante cache un duomo plus modeste : une direction d’acteur qui gère des entrées et des sorties, place le chœur immobile face caméra, fait voleter les falbalas en tulle des robes des sorcières et se contente d’une dramaturgie réduite à la portion congrue, laissant en jachère l’idée de jeu d’échec et des pions. Belle idée toutefois : Lady Macbeth retient son page pour lui adresser « Duncano sarà qui? Qui la notte ? », d’ordinaire traité comme un aparté, avant de le congédier et d’exulter dans la cabalette. Surtout, de spectacle en spectacle, on est surpris de retrouver, à quelques broderies près, les mêmes costumes d’heroic fantasy (l’armure dorée, toute en courbes, de Banco nous a fait penser aux gardiens intergalactiques dans Le 5e Élément — on a les références qu’on peut…) qui, de la Jérusalem orientale aux rigueurs hivernales et humides de l’Ecosse, ne veulent plus dire grand-chose. À tout le moins, reconnaissons que le choix de la version 1865, deuxième mouture pour Paris, nous donne l’occasion d’entendre la musique de ballet, même si ce n’est pas ce que la muse inspira de plus fécond à Verdi alors que sur scène une chorégraphie vient platement illustrer le sabbat des sorcières ici doublées de satyres.
En revanche, retour à la version première pour le final de l’opéra. Assemblage musical donc mais élégant choix quand on invite le vétéran Leo Nucci à venir porter le masque de Glamis. Après quelques minutes de chauffe qui gomme un vibrato au départ très large, le voici Sire de Cawdor avec un phrasé et un velouté de timbre retrouvés. Roi d’Ecosse, il défend chèrement sa peau notamment grâce à son endurance vocale, que seules deux respirations intempestives viendront trahir dans « Pietà, rispetto, amore » et un volume qui lui permet de dominer les ensembles aux côtés de sa reine. Le métier scénique, mille fois retravaillé, assure le reste mais le portrait vocal restera, lui, plus sommaire, engoncé dans cette armure de bonne santé vocale. L’adjectif « vitaminée » qualifie sans mal la prestation de Tatiana Serjan : graves telluriques, contre-ré piano halluciné, quelques trilles serrés comme des ristretti, variations dans les reprises… en un mot une aisance vocale qui la rend maîtresse de ce rôle difficile entre tous et qu’elle chante un peu partout, même s’il faut noter que l’aigu sonne comme détaché avec un volume amoindri. Scéniquement la soprano russe habite le personnage avec une grande crédibilité. Giacomo Prestia puise dans des graves gutturaux et polit un timbre charbonneux pour composer un Banco presque inquiétant. Un vibrato parfois trop large vient toutefois entacher la probité de son chant. En Macduff, Gabriele Mangione dispose de la voix franche et claire qui convient mais le phrasé n’offre guère de séduction et le chant se montre assez chiche en nuances. D’autre part, son timbre est très proche de celui de Papuna Tchuradze (Malcom) ce qui donne une fin de scène dans la forêt de Birnam pour le moins étrange. Alexise Yerna (Dame de Lady Macbeth) et Roger Joakim (le médecin) remplissent avec élégance leurs rôles de soutien. Chœur féminin et masculin brillent chacun leur tour dans leurs scènes dédiées, conjurés pour ces messieurs, pour celles-ci sorcières espiègles. Les scènes d’ensemble montrent moins de cohésion, notamment le grand chœur « Patria oppressa » où le tempo très lent les met en difficulté et révèle une fatigue certaine.
Un tempo d’autant plus surprenant que Paolo Arrivabeni fouette ce Macbeth d’une baguette vigoureuse, à l’exception de quelques « fleurs » bienvenues pour soutenir ses chanteurs dans leurs parties les plus ardues.