Il y a toutes sortes de façons, pour un metteur en scène, d’aborder un opéra de l’ampleur de Macbeth. La plus efficace est de dégager de l’analyse préalable de l’œuvre une idée forte, un axe majeur, et au départ de cet axe, de construire un spectacle cohérent sur le plan du sens et de l’esthétique. Olivier Fredj, qui aborde ici l’opéra pour la première fois, a retenu la grande importance des rêves et du monde imaginaire dans le déroulement du livret, et semble avoir axé son spectacle sur une lecture psychanalytique, qui permet certainement un approfondissement très élaboré et très intéressant. Quelles sont les motivations de Macbeth et de sa femme, quelle est la part entre la raison et la folie, comment s’installe la banalisation du meurtre ou sa justification, et comment le remords travaille les personnages au fil du temps, voici pour l’essentiel les questions auxquelles cette mise en scène tente – non sans une certaine ambition – d’apporter des réponses. La tension omniprésente entre le monde réel et le monde imaginaire, les incursions dans l’irrationnel et le surnaturel qui émaillent le récit sont autant d’éléments tragicomiques dont il va pouvoir également pouvoir se servir.
Fredj définit un lieu unique, un grand hôtel de l’entre-deux guerres, nombreuses références au style Art déco à la clé, dans lequel viendront prendre place la quasi totalité des scènes, tantôt dans le hall d’entrée, tantôt dans les chambres ou dans les cuisines, créant un contraste entre l’intensité dramatique du livret et le côté familier, presque impersonnel des lieux. Autre décision radicale, il renvoie les chœurs – dont on connaît l’importance à la fois dramatique et musicale dans cette pièce – en arrière scène, il les assied comme autant de spectateurs supplémentaires qui regarderaient l’action par derrière, bien souvent il les cache derrière rideau, et confie à une troupe de pantomimes les mouvements de scène que Verdi a prévu pour le chœur.
Cette troupe de seize danseurs, tous choisis pour leur physique longiligne, très présente tout au long du spectacle, tour à tour sorcières (ou sorciers travestis…), fêtards, larbins, etc… est le principal élément dynamique du spectacle, bouge sans cesse et s’affaire en tous sens. C’est très efficace pour certaines scènes, celle des sorcières tout au début de l’œuvre notamment, moins pour d’autres qui sont traitées sur le mode de la caricature ou tournées en dérision sans qu’on en perçoive le sens.
Dès l’ouverture, des projections vidéo conduisent le spectateur vers le monde de la psychanalyse : on montre des dessins évoquant les tests de Rorschach, on fait intervenir des figures oniriques, des représentations du cerveau humain, l’axe est clairement défini. Le problème est que cet axe n’est pas théâtral au premier chef, qu’il ne débouche pas sur des propositions visuelles très marquées, qu’il ouvre des questionnements mais n’apporte pas de réponse, de sorte que toute la première partie du spectacle semble tirer un peu dans tous les sens et verser dans l’anecdotique, sans que le spectateur y trouve de repère.
Les décors, très soignés dans le détail, sont globalement ternes, peu éclairés, peu colorés et si certains costumes rappellent l’Ecosse (Macbeth porte un kilt par dessus son pantalon) il participent d’une esthétique visuellement peu chatoyante, malgré les fastes du banquet à la fin du deuxième acte. Lorsque l’intrigue se resserre, lorsque le drame se dépouille de ses artifices, le propos du metteur en scène se clarifie enfin. Le basculement du spectacle se produit au moment où les chœurs quittent le fond de scène pour envahir la salle : les proscrits écossais de la forêt de Birnam sont parmi les spectateurs, créant au sein du public un sentiment de grande proximité et d’adhésion tout à fait inattendu. Macduff entame son grand air porté par cette belle intensité dramatique qui perdurera jusqu’à la fin du spectacle.
Scott Hendricks (Macbeth),Carlo Colombara(Banco) © Bernd Uhlig
Les propositions musicales quant à elles, sont claires dès le début : porté par une excellente distribution vocale, Paolo Carignani déroule la partition de façon efficace mais sans trop de raffinement, luttant visiblement contre une acoustique difficile qui rend les cordes peu présentes et l’oblige à se concentrer sur l’essentiel tout en apportant un soin particulier à diriger très soigneusement les ensembles vocaux.
Béatrice Uria-Monzon aborde le rôle de Lady Macbeth pour la première fois, et propose une vision du personnage extrêmement convaincante : sa voix aux possibilités très larges, avec néanmoins une couleur caractéristique de mezzo, généreuse, particulièrement riche et bien timbrée fait merveille dans ce rôle habituellement tenu par un soprano, auquel elle confère une intensité dramatique idéale, sans compromis dans les aigus. Elle possède en outre un véritable talent de comédienne, une présence scénique bien précieuse pour un rôle aussi dense. A ses côtés Scott Hendricks semble plus fade (mais c’est précisément sur ce contraste que repose une partie de l‘intrigue) dans le rôle de Macbeth. Lui qui nous avait tant séduit en Sweeny Todd à la fin de la saison dernière était peut-être en méforme passagère, toujours est-il qu’il semblait chanter en deçà de ses capacités, avec moins d’intensité et de présence qu’à l’accoutumée. Voix puissante au timbre riche également, Carlo Colombara s’impose facilement dans le rôle de Banco, mais sans trop de raffinement musical cependant. A l’inverse, le désormais ténor Julian Hubbard (il avait entamé sa carrière comme baryton) se montre émouvant, pas autant cependant que Andrew Richards qui remporte d’ailleurs un franc succès en Macduff. Il compense la brièveté du rôle par une intensité dramatique remarquable et une sensibilité musicale très appréciable.
Au delà de la belle surprise qu’on a décrite plus haut, les chœurs livrent une excellente prestation, malheureusement elle aussi desservie par l’acoustique du lieu, en particulier lorsque les chanteurs interviennent cachés derrière un rideau qui étouffe un peu le son et amollit la diction. Dès qu’ils sont présents dans la salle, on s’aperçoit de la qualité de leurs interventions et de leur efficacité dramatique.