Pour le quatre-centième anniversaire de Molière, Vincent Dumestre a conçu un menu alléchant. A travers les comédies-ballets, il nous rappelle l’extraordinaire richesse du genre, qu’illustrent magistralement Le Poème Harmonique et les solistes de ce soir, jour anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin.
Lully et Molière se connurent au plus tard à Vaux, en 1661, à l‘occasion de la comédie Les Fâcheux, pour laquelle Molière, réputé bon danseur, écrivit une courante. Si Beauchamps en composa la musique, et fut le créateur de la comédie-ballet, c’est à la collaboration complice des deux Jean-Baptiste que l’on doit tant de chefs-d’œuvre. En effet, on se proposait que les intermèdes ne devaient pas « rompre le fil de la pièce », et l’on s’avisa « de les coudre au sujet du mieux que l’on put, et de ne faire qu’une seule chose du ballet et de la comédie ».
Le fabuleux Bourgeois gentilhomme fut la dernière comédie-ballet écrite en commun par les deux Baptiste, en 1670 (*). Après des extraits significatifs donnés en milieu de programme de la soirée, celle-ci s’achèvera sur l’incontournable cérémonie turque. Auparavant, des fragments d’une demi-douzaine de comédies-ballets (la Princesse d’Elide, l’Amour médecin, la Pastorale comique, etc.) auront permis d’illustrer les multiples facettes musicales du genre. Le trio grotesque du Mariage forcé, écrit par Marc-Antoine Charpentier, inséré au centre, permet de prendre la mesure de l’autre génial musicien du temps, et introduit la joie débridée, qui prévaudra, interrompue seulement par « Ah ! mortelles douleurs » de Georges Dandin.
La mise en espace qu’autorise le vaste plateau de l’Auditorium de Dijon aurait été bienvenue si ses excès ne vulgarisaient un comique, parfois délibérément bouffe, proche de l’esprit des tréteaux de la Foire, mais apuré par Molière. On est admiratif du jeu de chacun des chanteurs-acteurs, digne de la comédie musicale contemporaine. La pitrerie – parfaitement réglée, mais débridée – est propre à réjouir un public adolescent, mais dessert le propos dramatique. Fébrile, la joie manifeste qu’éprouvent les chanteurs, auxquels se joignent nombre d’instrumentistes, fait sourire, mais n’est pas réellement partagée. Le spectacle du sympathique détournement de la plainte en musique de Georges Dandin altère son sentiment comme sa perception auditive. Il faut chercher l’émotion ailleurs. Cyril Auvity, dès le « Il n’est rien de si doux », de la Bergerie du Bourgeois gentilhomme, mais aussi chacun des chanteurs, tous excellents (Marc Mauillon, Igor Bouin et Virgile Ancely) au cours de telle ou telle scène y ont leur part. Anna Quintans n’est pas en reste, aux graves solides, et remplit fort bien sa fonction (« Ah, mortelles douleurs » ).
Riche de ses 33 musiciens, les vents changeant parfois d’instrument, comme les théorbistes prenant la guitare baroque, le Poème Harmonique confirme toutes ses qualités. Dès l’ouverture de la Princesse d‘Elide, la dynamique, la plénitude, les couleurs sont là, attestant l’affinité des musiciens et de leur chef à cette musique. Les articulations, les phrasés et les équilibres sont exemplaires. Le continuo est admirable, réactif, aux phrasés superbes. La force, la vigueur et la clarté des tutti, les oppositions de nuances nous réjouissent. Couleurs des bois, velours des cordes, c’est un somptueux brocart que tisse l’ensemble. Vincent Dumestre a forgé là le plus bel outil pour cette musique qu’il sert à merveille.
Le nombreux public, conquis, ne ménage pas ses applaudissements, récompensés par un surprenant bis, hommage aux médecins, chers à Molière : une chanson de Ginette Garcin (Cresoxipropanédiol en capsule, ou encore Médication de Thaïs ), magistralement arrangée à la sauce jazzy pour les solistes et le Poème harmonique, qui exultent dans cet exercice, digne d’une excellente comédie musicale. La vie continue.
(*) Le CD du Bourgeois gentilhomme, nouvelle réalisation de Vincent Dumestre à la tête de son ensemble, avec la distribution de ce soir, enrichie, a été publié récemment.