Cette Lucia romaine devait être la première de Luca Ronconi. Mais hélas, le sort a voulu que ce soit son dernier travail pour l’opéra. Disparu le 21 février dernier, le grand metteur en scène n’a pas pu le mener jusqu’à son terme et ce sont ses disciples qui l’ont terminé pour le Teatro Costanzi. Un hommage, très applaudi, lui a été rendu avant le lever de rideau.
Il est bien difficile de s’exprimer sur un travail qu’on devine inachevé et alors que Ronconi n’avait évidemment rien à prouver. Pour autant, il serait malhonnête de dire que cette mise en scène nous a enthousiasmé. Non pas qu’elle manque d’idées. Outre la classique transposition de l’œuvre au XIXe siècle, la plongée dans un univers clos, qui fait irrésistiblement penser à une prison ou un lieu d’enfermement d’une blancheur toute psychiatrique, peut se concevoir pour cette œuvre qui renferme la scène de folie la plus célèbre de l’histoire de l’opéra. Certains jeux de lumière (la fontaine, l’orage) sont habiles et réussis. Mais on nous permettra de ne pas trouver tout cela d’une originalité folle, même si l’idée a au moins le mérite d’être assumée jusqu’au bout. Enrico et ses sbires sont évidemment les gardiens de ces lieux froids et sans âme. Derrière les barreaux, notamment en seconde partie, des prisonniers – ou des patients – observent hébétés la marche à la folie de l’infortunée Lucia. Tout cela est bien statique. Les nombreux changements de décors se font rideau levé et sont interminables et bruyants, cassant un rythme qui peine déjà beaucoup à s’installer.
Preuve supplémentaire de l’inachèvement de ce travail, la direction d’acteurs est assez sommaire.
Côté chanteurs, on peut saluer une certaine homogénéité du plateau, de bon niveau.
Le chœur d’abord, toujours bien préparé par Roberto Gabbiani, conserve sa belle unité et se montre souvent impressionnant.
Le Raimondo de Carlo Cigni, qui fait penser à une sorte de Bossuet à l’air constamment grave, ne manque pas d’une certaine noblesse et bénéficie d’un beau timbre, aux aigus très maîtrisés, moins à l’aise peut-être dans le registre le plus bas.
Alessandro Liberatore donne à sa brève intervention une belle allure, grâce à une voix très assurée, bien projetée et parfaitement articulée. Mêmes remarques pour le Normanno un rien emprunté d’Andrea Giovannini.
Marco Caria est un bon baryton, tout à fait adapté au rôle d’Enrico, très à l’aise dans les aigus, sonore sans écraser, mais assez peu nuancé et quelque peu fruste dans son jeu d’acteur, même si on lui demande de n’être qu’uniformément méchant.
L’Edgardo de José Bros est en la matière plus caricatural encore. Passe encore que le timbre du ténor soit assez désagréable. Très nasal, il n’en est pas moins très puissant et même un peu tonitruant dans son genre. Mais quel manque de nuances ! quel monolithe ! C’est un bloc qui semble toujours chanter sforzando même s’il ne rencontre aucun incident de parcours et remporte un succès qui nous a semblé excessif pour celui qui alternait avec Stefano Secco pour ces représentations.
Si l’Alisa de Simge Büyükedes se montre relativement discrète, c’est vers la Lucia de Maria Grazia Schiavo qu’ira le véritable triomphe de la soirée. Lucia d’un soir (les autres représentations étaient assurées par Jessica Pratt), elle nous a paru d’abord un peu sur la défensive, comme en retrait. Très vite, on admire la clarté et la facilité apparente de ses aigus dans la scène de la fontaine notamment. Mais c’est bien la scène de la folie, pour laquelle elle semble s’être économisée, qui va lui valoir de longues acclamations. Accompagnée par un orchestre aux petits soins – avec harmonica de verre, qui crée à lui seul une atmosphère surréaliste – la soprano se joue des difficultés meurtrières du rôle et se paie le luxe de finir cette longue scène par un suraigu tenu sans faiblir jusqu’à la dernière note du finale. Le tout d’un air hagard, tout à fait en phase avec la folie qui dévore le personnage.
Roberto Abbado connaît sa Lucia, qu’il a dirigée partout et bien souvent. Il va droit à l’essentiel, sans traîner, attentif à ne pas couvrir les voix et les ensembles. Il est l’artisan de l’équilibre qui fait tout l’intérêt de cette représentation et qui consacre une fois de plus ce que l’on entend davantage que ce que l’on voit, même si dans l’ensemble on ne s’ennuie pas, ce qui reste tout de même l’essentiel…