Marquant les trente ans du Concert Spirituel, après Pibrac, où Hervé Niquet présentait ce concert-spectacle en création, avant Versailles, Metz et Paris (TCE), c’est au tour de Montpellier d’accueillir L’Opéra imaginaire.
Toujours aussi curieux et inventif, le chef d’orchestre a imaginé une sorte de pasticcio, où, sur une trame très conventionnelle, sont assemblés des extraits d’œuvres émanant de deux sources. Celle des ouvrages à découvrir, de compositeurs dont l’oubli est profond, sinon total, pour lesquels l’espoir de les faire revivre un jour est très mince, comme celle des valeurs consacrées, ainsi le Chaos des Eléments de François Rebel, ainsi la passacaille d’Armide, ainsi tels extraits de la Médée de Charpentier. Trois personnages : le prince, la princesse et une reine magicienne, une Armide qui ne dit pas son nom. Pour ce faire, Hervé Niquet s’est assuré le concours d’un jeune vidéaste, Anthony Rubier.
La tragédie lyrique était avant tout un spectacle complet, dont la fascination équivalait en son temps à celle des univers virtuels de nos jours. Pour éblouir les spectateurs avides de merveilleux, les effets de changements de décor et la machinerie déployaient un art quelque peu oublié. Les palais célestes, les tempêtes, les orages, les monstres ou divinités volant dans les airs, tout était bon pour surprendre et enflammer le spectateur. Ce soir, une large vidéo, en fond de scène, va dérouler des images surprenantes, en relation avec l’action du pasticcio. Un drone nous entraîne dans un univers fantasmagorique, gigantesque : une Babylone monstrueuse, avec un grand canal, ou une Jérusalem céleste et maritime, aux fortifications dessinées par Vauban, un univers proche de celui créé il y a juste cinquante ans par Christin et Mézières, le dessinateur (Valérian), la poésie en moins. Enorme différence : ici les personnages sont minuscules, immobiles, soldats de plomb d’ un univers démesuré… Parodie de jeu vidéo, où de dérisoires flammes simulent les échanges entre combattants figés. Dans le meilleur des cas comment ne pas sourire ? Le parti-pris est pour le moins discutable. L’attention se partage entre les effets visuels et la musique, sans que le rapport s’établisse, malgré les efforts pour y parvenir. L’oreille attend des effets spéciaux, ou l’œil attend Torelli et les frères Vigarini, les vidéastes du Grand siècle.
L’ouvrage est en deux parties. Pourquoi pas cinq actes ? C’eût été certainement moins indigeste. Ouvertures, airs, ballets, duos, choeurs, respectivement 21, puis 18 numéros vont s’enchaîner, de seize compositeurs appartenant à trois générations sur plus de quatre-vingts ans. La succession ininterrompue des pièces, avec de trop rares et brefs récitatifs, conduit à l’essoufflement. Pas un instant n’est ménagé pour reprendre haleine. De surcroît, si le public de 2017, pour l’essentiel, n’est pas dérangé par le collage de pièces relevant d’écritures très différentes, les plus subtils ne pourront suivre qu’avec peine ces décrochements réguliers. Quels que soient les efforts d’articulation des chanteurs, il est parfois malaisé – particulièrement dans les œuvres les moins connues – de saisir autre chose que quelques mots du texte chanté. Un sur-titrage eut été apprécié.
On sait combien nous sommes redevables au Concert Spirituel de la redécouverte de nombre de nos chefs-d’œuvre du baroque versaillais. L’anthologie est indéniablement riche. Mais autant un enregistrement paraîtrait bienvenu, où l’auditeur choisit sa plage – ou une écoute continue – sans l’artifice de cette intrigue de lieux communs, autant cette succession paraît fastidieuse dans le cadre de ce que nous propose Hervé Niquet.
Karine Deshayes, dont on connaît les qualités, au timbre opulent, met tout son art à donner vie à cette magicienne maléfique. La virtuosité, la longueur de voix sont là. Mais parfois, l’intelligibilité du chant fait défaut. Katherine Watson donne toujours cette fraîcheur lumineuse à ce qu’elle chante avec art. Reinoud van Mechelen nous offre une belle leçon de chant baroque, avec une émission claire et puissante servie par une articulation exemplaire.
La qualité de la réalisation musicale n’est pas contestable : un orchestre fourni, riche en couleurs, comme des choeurs aguerris à ce style, pleinement engagés dans l’aventure, des solistes remarquables à plus d’un titre, cherchez l’erreur !