Cette programmation de L’Opéra de Quat’Sous, sous la direction musicale de Manuel Peskine et mis en scène par Éric Perez et Olivier Desbordes, est représentative de l’association des festivals de Figeac (avec son « théâtre ») et de Saint-Céré (avec son « théâtre musical ») étant donné que plusieurs représentations de ce spectacle se sont déroulées en juillet dernier dans le cadre du premier pour arriver ce mois d’août au nouveau théâtre de l’usine du second.
Il ne s’agit pas d’une première pour les deux acolytes d’Opéra Eclaté puisque Éric Perez et Olivier Desbordes avait déjà monté la pièce à Saint-Céré en 2003. Entre temps, le succès de Cabaret les a conduits à cette nouvelle proposition allant même jusqu’à refaire travailler un bon nombre des comédiens-chanteurs de ce dernier spectacle. Nous voilà donc entraînés dans le cirque-cabaret de Jenny des Lupanars qui remplace la chiffonnerie de Monsieur Peachum initialement prévue par Brecht. Pourquoi pas… Mais cette alliance donne surtout l’impression qu’aucun de ces deux mondes n’est réellement abouti, le spectateur comprenant mal la cohésion d’ensemble entre un french cancan, une cage à fauves et la pantomime d’une orgie dans une maison close. Il y a pourtant de bonnes idées du côté du cirque même si l’univers du cabaret paraît plus conforme à l’esprit de cette « musique dégénérée. »
Nous regrettons de ce fait le manque d’exploitation de l’une ou l’autre de ces deux ambiances, la mise en scène ne permettant que trop peu de se rapprocher de l’idéal du « théâtre épique » poursuivi par Brecht.
Appartenant au genre du théâtre chanté (L’Opéra de Quat’Sous n’est que modérément joué sur les grandes scènes lyriques), l’œuvre est souvent considérée comme l’une des premières comédies musicales en Europe. Sur la piste aux étoiles, évoluent ainsi en toute logique des comédiens-chanteurs et non des artistes lyriques. Alors que le compositeur exigeait des interprètes capables d’assumer les difficultés vocales de sa musique, nous ne sommes pas sure que cette distribution ait relevé ce défi, à l’image de Nicole Croisille et Patrick Zimmermann en Madame et Monsieur Peachum. Le couple dégoulinant de gouaille et de perversité, est homogène autant dans ses défauts que ses qualités. Leur timbre de voix est totalement adapté à cet univers. La diction est excellente, le chanté/parlé pleinement respecté. Mais tout ceci ne nous fera pas oublier leur justesse trop souvent approximative avec un Patrick Zimmermann marquant de manière bien trop prononcée les fins de phrases, alourdissant ainsi son chant bien plus qu’il ne faudrait (c’est en français mais tout de même !).
© Fredericstephan
Malheureusement, ce n’est pas avec Clément Chébli (Filch) et le reste des brigands que la troupe remontera la pente. Leur jeu (je surjoue, tu surjoues, il surjoue, nous surjouons…) comme leur chant ne disposent d’aucune nuance, « la chanson de noces » de ces quatre gangsters étant particulièrement criarde. Seul Josselin Michalon tire son épingle du jeu par une interprétation juste qui ne permettra pas malgré tout de faire revenir ses compères à la raison. Flore Boixel (Jenny) et Marc Schapira (Brown) proposent quant à eux une performance somme toute honorable. Alors que la première maitrise la technique caractéristique des chanteuses du cabaret populaire, l’on ressent parfois chez le second les limites de son chef policier véreux.
Tel un lion en cage, Eric Pérez (Mackeath) offre une belle intensité dramatique dans la « ballade de Mackie-le-Surin ». Séducteur (il n’arrête pas de peloter allégrement chaque femme qu’il rencontre), cynique et tyrannique, le comédien expose une belle palette de jeu à travers un timbre clair et une projection assurée. Seules, Anandha Seethanen (Polly) et Sarah Lazerges (Lucy) se démarquent d’une distribution globalement décevante. On applaudit le parfait numéro d’équilibriste de la première, entre une voix profonde et ample d’une chanteuse de guinguette dans « Jenny la pirate » ̶ chef d’œuvre de la chanson de cabaret qui nous surprendra toujours par sa vigueur rythmique et son grand raffinement de la ligne mélodique ; et une volubile finesse notamment dans les aigus au moment de son duo d’amour avec Mackeath. Alors que son visage manque d’expressivité en début de soirée, sa prestation scénique est particulièrement aboutie par la suite. Constante dans sa prestation, Sarah Lazerges est une formidable actrice, talent complété par une projection franche, des aigus clairs et de belles nuances. Les deux femmes nous offriront le meilleur moment de la soirée avec le célèbre crêpage de chignons entre Polly et Lucy (duo de la jalousie) grâce à un jeu vif, incisif et un chant parfaitement maitrisé.
Tout en prenant le risque de tenir le rôle du sixième brigand, Manuel Peskine, par sa direction, permet amplement de savourer les rythmes modernes du boston, du foxtrot ou du tango qui se baladent dans la partition. Le petit ensemble orchestral (9 musiciens) swingue certainement autant que les musiciens du Lewis-Ruth-Band de la première version de Weill, dirigé tout comme ce soir par un pianiste « jazzy. » Cette fougue musicale ne permettra pas toutefois au plus grand succès de la République de Weimar, de devenir pour nous celui du festival lyrique de Saint-Céré.