Si l’opéra de Vienne n’est pas réputé pour ses innovations scéniques, il confirme ce soir son habileté à éviter la routine, même avec des productions usées jusqu’à la corde, grâce à des chanteurs d’exception. En effet la mise-en-scène de L’Italienne à Alger par Jean-Pierre Ponnelle, si elle réussit toujours à animer l’espace grâce à des effets visuels calés sur la musique et à des décors amusants, commence vraiment à accuser son âge pour sa direction d’acteurs télescopée et ses gags des années 70. Le tout reste cependant bon enfant et évite les excès de vulgarité dans lesquels on traine souvent cette œuvre (ah, cette pizza qui danse à l’Opéra de Paris…).
A l’orchestre, le renouvellement n’est pas de mise non plus et la routine tourne à plein régime sous la baguette de Jésus Lopez-Cobos : sans forcément réclamer les tintinnabulements de la version Scimone au disque, l’orchestre joue souvent trop fort et se dissipe dans les ensembles virtuoses (« Sento strepito » pas du tout en place lors de sa première itération). Le manque de répétitions pour cette énième reprise est sans doute à blâmer, ce qui explique que les chanteurs aient les yeux rivés sur le chef.
En entendant l’Elvira d’Aïda Garifullina, on est déjà convaincu que les seconds rôles n’ont pas été sacrifiés : voix puissante, fraiche et actrice amusante. Le Taddeo débonnaire de Paolo Rumetz est tout aussi comique, et joue très bien son rôle bouffon. Avec le bey d’Ildar Abdrazakov, on monte clairement d’un cran : on était plus habitué à voir ce chanteur dans le Rossini seria où il excelle, eh bien les effets comiques n’amenuisent jamais cette voix de stentor et l’acteur, roublard, s’en donne à cœur joie, son Mustafa est aussi jouissif qu’impressionant.
Pour le couple italien, suprise viennoise : Javier Camarena souffrant est finalement remplacé par Edgardo Rocha, sauf pour ce soir-là où c’est Juan-Diego Florez qui chante Lindoro, puisqu’il était dans les murs pour un Don Pasquale. Pour sa technique magistrale, les difficultés de la partition sont un simple parcours de santé, lui permettant de sourire en chantant : ces rôles de héros simples et proches du spectateur sont ceux dans lesquels il est le plus attachant.
Hélas Isabella était souffrante : un léger refroidissement, nous annonce-t-on. En réalité, Anna Bonitatibus a beaucoup toussé sur scène et semblait souvent s’économiser pour tenir jusqu’au redoutable « Pensa alla patria » dont elle n’a jamais esquivé le brillant. Dans l’ensemble, c’est surtout la projection qui était diminuée et les aigus étaient moins électrisants que d’habitude. A entendre son « Per lui che adoro », caressant, chaleureux, nimbé dans ce medium de velours, sans doute le plus sensible et donc le plus beau que l’on ait entendu, on se dit que, même en pleine possession de ses moyens, cette Isabella n’aurait de toute manière pas roulé des mécaniques : ce n’est pas une gouailleuse mais bien une féministe spirituelle et délicate quand elle n’est pas rusée et joueuse.
Dans le public, un fan très enthousiaste encourage le public à applaudir à grand coup de « bravissimi ». On le comprend, difficile de rester pappatacci devant de telles performances !