Assister à un spectacle mis en scène par Jean-Pierre Ponnelle il y a plus de quatre décennies réserve quelques surprises. La première et plus importante est qu’on y prend du plaisir. Oui les décors « carton pate » de L’Italiana in Algeri ont vieilli et font sourire le spectateur européen plus guère habitué à cette esthétique (voir le commentaire de Guillaume Saintagne qui vit cette production à Vienne). Mais à New York la scénographie reste toujours aussi efficace. Si efficace qu’elle a depuis essaimé dans nombres de productions légères de Rossini vu ici et là. On y danse en permanence en suivant le rythme des contrebasses ; les gestes des protagonistes suivent une sorte de « Macarena » drolatique. Cela n’interdit pas quelque audace comme cette femme nue qui s’échappe du hammam de Mustafa quand il sort de son bain. Libre au spectateur d’imaginer ce qu’elle pouvait bien faire là, accroupie et cachée à la vue de tous. La direction d’acteur n’a probablement plus grand chose à voir avec celle réglée au cordeau par le metteur en scène français en 1973. Qu’importe, les interprètes se glissent dans leurs costumes comme dans des gants et prennent un plaisir manifeste à enchainer les gags (même si éculés) et chorégraphies. Leur bonne humeur se communique au public du Metropolitan Opera, hilare à plusieurs reprises.
© Metropolitan Opera
Mais assister à une « legacy production » quand le Directeur Emeritus James Levine tient le bâton rend l’aventure encore plus attrayante. Bonheur que de le voir fringant et souriant depuis son perchoir être acclamé par son public comme chaque soir où il prend son service. Clameurs méritées car une fois encore sa direction est un modèle d’équilibre et de dosage, où, dans la transparence radieuse des différents pupitres du Metropolitan Orchestra, chaque phrase, contre-point et commentaire instrumental s’entend sans ostentation. Les tempi retenus sont au service de la farce et les ruptures de rythmes suivies dans l’instant par la fosse et le plateau. L’orfèvrerie va jusqu’aux nuances mêmes. D’une torsion de main du maestro l’orchestre se terre en sourdine avant d’enfler, de moulinet en moulinet, dans les finals de scène ou d’acte.
Quant aux chanteurs, ils se glissent avec aisance dans le costume des gloires rossiniennes qui se sont produites avant eux au Metropolitan Opera. Certes les seconds rôles sont peu convaincants. Angela Mannino (Elvira), remplaçante de dernière minute, présente une voix acide régulièrement prise en défaut dans l’aigu, quand Dwayne Croft interprète un Hali assez scolaire. En revanche, Marianna Pizzolato, qui fait ses débuts new-yorkais, ajoute à la gouaille d’Isabella une technique rompue à ce répertoire. Elle effectue des variations à l’envi, colore les notes ou s’amuse avec la prononciation pour donner vie à l’espiègle comme à l’amoureuse. René Barbera surprend par sa vaillance et son aisance ainsi que par le volume conséquent de sa voix. Un Lindoro gorgé de soleil et de vitamines que seul handicape un manque de nuance. Ildar Abdrazakov commence piano piano pour mieux exulter ensuite tant vocalement que scéniquement. Son Bey sonore (surtout dans l’immensité du Met) ne fait pour autant pas l’économie de variations et de nuances. Un art que Nicola Alaimo maitrise lui aussi. Au global, la somme et l’alchimie des uns et des autres magnifient cette soirée de répertoire en divertissement rossinien de très bonne facture.