« Quarante-septième Instant Lyrique », annonce en marquant un temps de silence Richard Plaza, le grand ordonnateur de ce rendez-vous musical parisien unique en son genre : un ou, comme ce soir, deux chanteurs réunis sous la coupole étoilée d’Elephant Paname autour d’un programme d’une heure sans entracte alternant mélodies et airs d’opéra. La formule paraît simple ; elle est unique. Où trouver à Paris une telle intimité ? Où approcher de plus près les artistes pour mieux les comprendre ?
La carrière de Thomas Bettinger prend son élan. Nicolas Cavallier n’a que rarement l’occasion de se produire en récital. Il nous confiait le regretter. Leur Instant Lyrique réunit deux personnalités dissemblables, confronte deux générations et ce faisant, ouvre nos chakras. Réaliser l’appréhension du plus jeune face à un public si proche qu’il lui suffit de tendre le bras pour toucher les spectateurs du premier rang. Observer comment le plus expérimenté sait au contraire user de cette même appréhension pour créer une complicité avec la salle, ne serait-ce que par la manière de placer son regard ; bouger ; jouer avec quelques accessoires ; aller ; venir ; sourire ; saluer et le tour est joué, sans être surjoué.
Thomas Bettinger apprendra avec le temps à surmonter ses émotions. Pour le moment, le jeune ténor s’emploie à démontrer pour convaincre. La voix est si large que les rôles lyriques semblent déjà trop étroits. Le trait est asséné, plaqué à la manière d’un peintre furieux à gros pinceaux sur une vaste toile. Le son paraît poussé, trop pour une salle qui est à l’Opéra Bastille ce qu’un confetti est à une nappe de douze couverts. Les mélodies napolitaines semblent extirpées au forceps d’un opéra vériste. Mise en danger, l’intonation hésite. Le souffle chancelle. La note passe en force. Les amateurs de sensations extrêmes sont comblés.
Tout autre est l’approche de Nicolas Cavallier. Avec le temps, le chant a gagné en liberté, l’artiste en aisance. Voilà ici Mephisto, là Coppelius dessinés dès la première note, croqués en un geste d’une moustache gourmande et d’un œil malicieux. Voix de basse-baryton ou l’inverse, peu importe : les graves sont calorifères, l’aigu rayonnant. Le chanteur prend la parole pour présenter un air du Démon de Rubinstein, dont on sait combien il lui tient à cœur. La prise du rôle, à Bordeaux en début d’année prochaine s’annonce comme un temps fort de la saison et un jalon dans son parcours, une forme de consécration. Peu d’opéras offrent ainsi une première place à une voix grave. Si l’on en juge à ce seul air, le rendez-vous est à ne pas manquer, pour l’œuvre rarement représentée à l’ouest de l’Europe, pour l’interprète que l’on sent sous l’emprise de la partition, possédé à un point tel que le charme agit de manière contagieuse. Le timbre déploie des sortilèges, les accents rugueux de la langue russe se font caresse tandis qu’Antoine Palloc exalte le lyrisme de la musique. Le pianiste clé de l’Instant Lyrique est ici plus encore que d’habitude l’indispensable fil conducteur, celui qui unit la fougue du ténor à la flamme du basse-baryton, l’ardeur à la chaleur, la force à la puissance, le discours à l’éloquence.
Mozart offre l’occasion à Nicolas Cavallier de mettre en avant le contrebassiste Yann Dubost et son instrument, « une vieille dame née en 1732 » dans un air de concert, redoutable pour les deux interprètes. Leur complicité fait autant plaisir à voir qu’à entendre. De trio, l’ensemble devient quatuor lorsque Thomas Bettinger les rejoint pour un « Plaisir d’amour » iconoclaste, tout comme l’est le bis suivant : la barcarolle des Contes d’Hoffmann qui, ainsi interprétée par deux voix d’homme, pourrait dans un autre contexte attiser la colère des opposants au mariage pour tous. Prochain Instant lyrique (le quarante-huitième si l’on a bien suivi) : Cyrille Dubois le mardi 19 novembre.