Entre Nadir à Liège et Fortunio à l’Opéra-Comique, Cyrille Dubois prend l’Instant Lyrique par les cornes, comme un défi. Sous des airs tendres, le ténor serait-il casse-cou ? La lecture du programme, avec une deuxième partie en dehors des partitions habituellement battues, autorise à le supposer. Liszt, qu’un récent album explorait, offre une écriture hérissée de pièges que chanteur et pianiste s’amusent à déjouer avec une remarquable évidence. Les italiens du primo ottocento sont plus redoutables encore. Le point commun entre ces deux répertoires ? Le bel canto en ses exigences les plus exacerbées.
Avec Rossini, Cyrille Dubois peut exposer ce que le lied lisztien laissait entrevoir : une souplesse rehaussée par la capacité à ornementer et la maîtrise de certains effets essentiels, tels le trille ou la messa di voce, cette manière d’enfler puis de diminuer la note jusqu’au murmure. La vocalise voudrait plus de netteté mais l’aigu, quelle que soit la nature de l’émission – tête, poitrine ou mixte – jaillit à des hauteurs vertigineuses avec une facilité déconcertante.
Donizetti, à travers Edgardo et Nemorino, appelle un ténor d’une étoffe plus ample à laquelle la technique seule ne peut servir d’alibi. La voix tente de s’assombrir mais sa nature demeure légère. A défaut, le récitatif de « Tombe degli avi miei » déborde de fièvre et la reprise de second couplet de « Una furtiva lagrima » se pare d’abbellimenti qui font Nemorino funambule suspendu à un fil de notes. En bis, la double poignée de contre-ut balancés par Tonio dans La Fille du Régiment enfonce le clou.
Pourquoi tant de risques ? Volonté de parcourir de nouveaux territoires, même si Rossini n’est pas une contrée étrangère – Cyrille Dubois fut Ramiro dans Cenerentola, aux cotes de Karine Deshayes, marraine de l’Instant Lyrique et présente dans la salle – ? Envie d’élargir le répertoire ? Ou (casse) coup d’essai ? Désir non dénué de malice d’étonner son public, comme semble le suggérer l’espièglerie du sourire à la fin de chacun de ces numéros de haute voltige.
Des trois compositeurs en « i », Bellini est celui qui, le premier, tombe sans un pli. Rôle conçu à la mesure du légendaire Rubini, Gualtiero dans Il Pirata ne saurait se réduire à sa seule aria di sortita, ici empoignée avec une aisance d’autant plus admirable que l’air est redoutable. Il est vraisemblable que Cyrille Dubois ne soit pas (encore ?) en mesure de relever le défi de l’opéra dans son intégralité mais la longueur du souffle et la grâce du geste laissent entrevoir quel Elvino dans La Sonnambula il pourrait être.
Partenaire attitré des pages mélodiques, Tristan Raës met au service des airs d’opéra la même imagination et la même poésie que dans les pièces de salon. Son jeu nourri de contrastes – le nom du tandem qu’il forme avec Cyrille Dubois – tord le cou à cette idée reçue qui, dans le répertoire romantique italien, assimile l’orchestre à une simple guitare.
Fauré en ouverture de récital s’apparente à un tour de chauffe, sauf à ce que les deux artistes aient voulu privilégier l’intimité à l’éloquence. Servi par une diction française superlative, ce « cœur qui ne bat que pour vous » reste toujours sensible. Mais Liszt offre au tandem un terrain d’expression supérieur. D’animé, le chant devient habité. « O Lieb », le rêve d’amour trop connu, qui donne son nom à l’album, étreint avec une passion contagieuse tout comme, en premier bis, émeut « Oh quand je dors » dont on dit qu’il faut, pour bien le chanter, une voix de fer dans un timbre de velours. Se non è vero, è bene trovato.
Rediffusion sur France Musique le 25 décembre à 20h.