Ceux qui aiment ranger les chanteurs dans des cases la disent soprano lyrique colorature mais Annick Massis appartient d’abord à cette catégorie d’artistes qu’auréole une rumeur flatteuse suscitée tant par sa personnalité, immédiatement sympathique, que par son chant, rompu aux exigences les plus ardues du bel canto. Paris ne l’a accueillie que peu de fois ces dernières années, en récital et, sur scène, dans des rôles secondaires où elle a pourtant fait sensation : Eudoxie dans La Juive, l’Infante dans Le Cid… C’est à Marseille qu’il fallait aller en début de saison pour applaudir sa première Maria Stuarda. « Une reine en attendant les trois ? » interrogeait impatiemment notre confrère Maurice Salles. Deux ans auparavant, Laurent Bury, après l’avoir entendue dans Manon à Liège, appelait de ses vœux une Thaïs à laquelle il est encore permis de rêver.
A défaut, Richard Plaza lui offre un de ces « instants lyriques » dont il a le secret, rendez-vous intime et musical sous le dôme scintillant d’un Elephant Paname dont il aurait fallu lundi pousser les murs pour ne pas afficher complet. Le programme n’est pourtant pas de ceux qui font courir les foules. Ni virtuosité spectaculaire, ni airs connus dans des pièces italiennes alignées en un ordre qui ne doit rien au hasard. Du recitar cantando de Giulio Caccini, où la musique se conforme au rythme naturel de la parole, à la générosité dispendieuse de Ruggero Leoncavallo, c’est un voyage vocal que propose Annick Massis, un périple chronologique où il est frappant d’observer au fil du temps l’écriture déporter la voix du medium vers l’aigu, la ligne s’assouplir, le trait, d’abord continu, devenir pointillé pour à l’aube du 20e siècle s’élargir et se lier de nouveau. Plus le récital progresse, plus les notes s’élèvent et plus le chant s’épanouit, souple, aérien, délicat. « Connaissez-vous Mililotti ? » demande la soprano avant d’expliquer que ce compositeur effectivement inconnu représente le chaînon manquant entre deux écoles, ce qu’elle s’est auparavant employée à démontrer en un « Cade la sera » aux courbes gracieuses.
Evidemment, la science dont fait preuve Annick Massis rend seule possible une telle démonstration, le contrôle exercé sur le souffle, notamment. Le parcours pourrait sembler austère si la soprano ne savait s’affranchir de la technique pour offrir à chacune des pages interprétées son juste climat, tantôt espiègle, tantôt mélancolique, tantôt douloureux lorsque la voix, inhabituellement grave, déploie ses ailes sombres sur un « Sposa son disprezzata » oppressant. Le piano d’Antoine Palloc n’est pas étranger à l’intensité dramatique qu’atteint cette aria attribuée à tort à Vivaldi (elle aurait en fait été composée par Geminiano Giacomelli). La complicité entre les deux artistes s’inscrit dans le temps. Les deux derniers récitals parisiens d’Annick Massis, en 2015 à l’Amphithéâtre Bastille puis au Musée d’Orsay, les réunissaient déjà. À la musicalité de l’une, répond l’imagination attentive de l’autre en une symbiose indispensable à l’exercice du récital.
En bis, « Core ‘ngrato », cette scie habituellement dévolue au ténor, déplace au sud de la péninsule italienne un voyage que « Parlez-moi d’amour » rabat de l’autre côté des Alpes. Ne pas se laisser prendre ensuite au piège d’« A la claire fontaine ». La chanson offre à Annick Massis l’occasion de renouer malicieusement avec son répertoire de prédilection. Des extraits de Roméo et Juliette, Norma, Faust ou encore La sonnambula laissent entrevoir, entre chaque couplet, une agilité et une fraîcheur vocale inaltérées. Une mélodie friponne de Rossini pose sur la soirée un point final joyeux en forme de trait d’union avec le prochain Instant lyrique, lundi 24 avril, consacré à Jacques Offenbach.