Programmer des œuvres mineures c’est souvent l’occasion de larmoyer sur la timidité des programmateurs et sur l’injustice fait à telle ou telle pépite, remisée dans les cartons de l’histoire lyrique et exhumée à l’occasion d’un festival tous les demi-siècles. On pourrait sûrement en faire de même avec Linda di Chamounix, même si l’œuvre revoit la scène plus souvent et qu’elle a fait l’objet d’une gravure au cours de la décennie passée. Pourtant, suite à la série florentine, cette année donnée en public (l’an passé il avait fallu se contenter d’un livestreaming), on pourra aussi en conclure qu’il faudra plus que Jessica Pratt – qui déjà défendait l’œuvre à Rome en 2016 – pour lui faire une place dans le concert des immanquables belcantistes.
Pourtant, cet opus de fin de carrière donizettienne présente une élégante synthèse : entre le bouffe façon Elixir d’amor et le mélodramatique à la mode trilogie Tudor, entre son invention musicale propre et la voie tracée par ses prédécesseur (Bellini et la Sonnambula, tout comme Rossini bien évidement). Las, comme souvent avec les œuvres mineures, il faut aussi une équipe hors pair pour les sortir des longueurs et maladresses qu’elles contiennent. Et c’est là que ces représentations pêchent quelque peu. Sans que l’on puisse trouver à redire à la probité des artistes réunis, aucun à l’exception de Jessica Pratt ne fait souffler ce brin de folie et d’excitation qu’il faudrait pourtant pour porter l’œuvre.
La faute peut-être en premier lieu à Michele Gamba, dont la battue ne se départ jamais de la rigueur métronomique que la caractérise. Propre et lisse, elle soude orchestre et plateau solidement mais installe aussi une monotonie, faute de contrastes ou de variations de tempi suffisantes. Les chœurs, que la production double de figurants muets, se contentent de venir se positionner en rangs d’oignon. Ils sont vocalement remarquables comme la veille dans La Traviata, mais fatalement moins investis, dans cette manière de version de concert qu’on leur impose.
© Michele Monasta / Maggio musicale fiorentino
La mise en scène de Cesare Lievi, de facture classique, s’attache à respecter les lieux et ambiances du livret, mais reste vraiment en surface des passions qui animent les personnages. La direction d’acteur manque d’inspiration tant dans le pathos que dans les quelques scènes de genres et les bouffonneries du Marquis.
Celui-ci trouve en Fabio Capitanucci une basse bien chantante mais encore tout à fait bouffe. Couleurs et accents sont bien chiches et la projection plutôt timide du jeune interprète n’aide pas à installer un personnage gargantuesque. De même Antonio Gades, ténor à la voix encore un rien verte, ne croque qu’à demi l’homme de main du Marquis. Marina De Liso propose un portrait touchant de la mère de Linda mais le rôle est bien court. De même finalement pour Teresa Iervolino, dont le Pierotto est exemplaire (beauté du timbre, qualités expressives) mais cantonné à une balade lancinante et à quelques duos éloignés des pages les plus inspirées de Donizetti. Giulio Pelligra propose un Vicomte Carlo sans grand panache : la ligne n’est pas des plus élégantes, l’aigu guère brillant plafonne difficilement à l’ut. Vittorio Prato (Antonio, le père de Linda) défend son rôle avec probité. Les accents du père inquiet lui conviennent mieux que ceux de l’outragé où le volume lui manque. Ce n’est pas le cas de Michele Pertusi dont le Préfet déclame ses arrêts avec la morgue nécessaire. Reste enfin Jessica Pratt, précautionneuse pendant toute la première partie malgré une aisance inentamée à l’aigu et une technique toujours aussi superlative. C’est finalement son air de folie à la fin du deuxième acte, varié et extrapolé, qui la fait sortir de ses gonds, l’orchestre avec elle, et fait souffler l’énergie folle qu’il aurait fallu tout du long de la représentation.