Créée en 2004 au Palais Garnier, la production de Laurent Pelly réunissant L’Heure espagnole et Gianni Schicchi fait son retour à l’Opéra de Paris, cette fois sur la scène de la Bastille. Si l’œuvre de Puccini composée pour le Metropolitan Opera ne souffre guère de cette délocalisation, on aurait pu craindre que la pièce de Ravel destinée à l’Opéra-Comique y perde de son impact. Il n’en est rien grâce à l’habileté du metteur en scène qui parvient à établir des passerelles entre ces deux ouvrages dont le rapprochement peut surprendre au premier abord tant ils appartiennent à des univers musicaux aussi éloignés que possible. Cependant des points communs existent: il s’agit de deux opéras en un acte sur un sujet de comédie, qui ont vu le jour au cours de la même décennie, l’un en 1911, l’autre en 1918.
Laurent Pelly les transpose tous les deux au milieu du vingtième siècle. Dans le premier les horloges servent à Concepcion pour y cacher ses amants dans l’autre elles figurent les clochers de Florence et c’est aussi dans une horloge que sera dissimulé le corps du pauvre Buoso.
La boutique de Torquemada est un véritable bric-à-brac où s’entassent montres et pendules de tous les styles ainsi que des objets hétéroclites évoquant l’Espagne: un taureau, une guitare et des éventails tandis que dans la maison des Donati ce sont des armoires, des secrétaires, des buffets et des valises qui s’amoncellent derrière le lit du défunt. La direction d’acteurs réglée comme du papier à musique est d’une redoutable efficacité, ce qui vaudra au metteur en scène et à son équipe une ovation bien méritée au rideau final.
C’est une équipe entièrement francophone, à la diction irréprochable qui a été réunie dans L’Heure espagnole. Philippe Talbot est un Torquemada cupide à souhait. Nicolas Courjal campe avec justesse un banquier ridicule et prétentieux. Vêtu d’un pantalon orange à pattes d’éléphant et affublé d’une perruque brune façon hippy, Stanislas de Barbeyrac incarne un Gonzalve désopilant à la voix solide et sonore tandis que Jean-Luc Ballestra, Ramiro au timbre homogène, déménage joyeusement les horloges au gré des caprices de la maîtresse des lieux. Clémentine Margaine, flamboyante Conception dotée d’une voix bien projetée et d’un tempérament volcanique domine la distribution.
L’Heure espagnole © Svetlana Loboff / Opéra National de Paris
Dans Gianni Schicchi on retrouve Jean-Luc Ballestra en Marco, Nicolas Courjal en Betto et Philippe Talbot en Gherardo, tous trois irréprochables. Les autres rôles secondaires n’appellent que des éloges, citons l’excellent Simone de Maurizio Muraro, Emmanuelle de Negri et Isabelle Druet, respectivement Nella et la Ciesca, tour à tour hargneuses et envieuses et le notaire bien chantant de Tomasz Kumiega. Ridicule avec ses bigoudis sur la tête, Rebecca De pont Davies incarne une Zita avide et acariâtre au timbre nasillard. Tout le contraire d’Elsa Dreisig dont la voix fraîche et juvénile convainc pleinement en Lauretta. Son « O mio babbino caro » chanté sans afféterie, avec une simplicité désarmante, parvient sans peine à émouvoir. Le Rinuccio de Vittorio Grigolo a tout pour lui, une physique de latin lover, un timbre à la séduction immédiate et une belle projection. Son incarnation en tout point convaincante est un véritable bonheur. Artur Ruciński aborde le rôle-titre avec une voix claire et un physique plus jeune que ce que l’on a coutume de voir dans cet emploi. Tout en subtilité, son Schicchi cynique et rusé ne sombre jamais dans la caricature. Enfin, sa diction superlative, son talent de diseur et l’élégance de sa ligne de chant, font tout le prix de cette incarnation remarquable.
Maxime Pascal confirme qu’il est l’un des chefs les plus prometteurs de sa génération. Il dirige les deux partitions avec une maturité étonnante, mettant en valeur l’orchestration luxuriante de Ravel et le lyrisme de Puccini sans jamais perdre de vue l’ironie commune aux deux ouvrages. .