Giochino Rossini (1792-1868)
Il Barbiere di Siviglia
Opéra en deux actes
Livret de Cesare Sterbini d’après Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser
Décors : Christian Fenouillat
Costumes :Agostino Cavalca
Lumières : Christophe Forey
Rosina : Joyce DiDonato
Figaro : Pietro Spagnoli
Almaviva : Juan Diego Florez
Dr Bartolo : Alessandro Corbelli
Don Basilio: Ferruccio Furlanetto
Fiorello : Changhan Lim
Chœurs et orchestre du Royal Opera
Direction : Antonio Pappano
Londres, le 4 juillet 2009
L’éternelle jeunesse du Barbier
Pour cette toute récente production du célébrissime Barbier de Séville, le Royal Opera a fait appel aux talents de Patrice Caurier et Moshe Leiser qui nous offrent ici une approche originale d’un ouvrage archiconnu. Le décor de Christian Fenouillat, quasi unique, est une gigantesque boîte multicolore dans laquelle s’ouvrent, de manière plus ou moins improbable, diverses trappes au gré de l’action. Le dispositif est un peu oppressant (est-ce bien l’effet à rechercher dans le Rossini « bouffe » ?) mais il est utilisé efficacement. Par exemple, au final du premier acte, la boîte est basculée dans les airs, de haut en bas et de droite à gauche, comme une attraction de fête foraine ; les parois s’animent, tandis que les chanteurs expriment leur désarroi ; une démonstration spectaculaire mais parfaitement justifiée dramatiquement. Les costumes hésitent quant à eux entre le Guignol et la Commedia del Arte, la plupart des protagonistes (mais pas les rôles principaux) étant affublés de faux nez grotesques, de ventres postiches et de faux-culs. Sur cette scénographie, une direction d’acteurs alerte et intelligente, drôle sans excès[1], magnifiquement réglée. Bref, une excellente et déroutante production auquel manque tout de même un petit grain de folie.
Le plateau vocal est d’un très haut niveau quoique sans surprise tant il réunit de spécialistes du rôle.
On ne présente plus en effet la Rosina de Joyce DiDonato : quels progrès depuis ses débuts parisiens un peu timides ! L’artiste s’est épanouie sans perdre sa musicalité mais gagnant en audaces belcantistes, faisant preuve d’un art consommé de la coloration et d’une bonne maîtrise des variations. A ces talents connus et reconnus, on pourra désormais ajouter le courage physique : la chanteuse tombe rudement au milieu du premier acte qu’elle poursuivra bravement en s’aidant d’une canne. Avant le lever de rideau du second acte, les spectateurs sont informés que la belle Joyce s’est foulé la cheville, qu’elle souffre terriblement, mais qu’elle assurera la fin de la représentation[2]. Malgré les circonstances, la chanteuse américaine assurera d’ailleurs magnifiquement ce dernier acte. Et on apprendra le lendemain qu’il s’agit en fait d’une fracture du péroné et non d’une simple foulure !
On ne présente plus non plus l’Almaviva de Juan Diego Florez, l’un des meilleurs interprètes actuels du rôle dans lequel il offre une fois de plus une magnifique leçon de chant rossinien. La voix semble même avoir gagné en épaisseur et l’acteur est nettement moins « coincé ». Les variations et les suraigus sont toutefois dispensées avec un peu moins de libéralité que par le passé et certains trilles passent désormais à la trappe. Même avec ces réserves, la prestation du ténor péruvien reste de très haut vol et son « Cessa di piu resistere » est accueilli par une roborative ovation. Au passage, on ne peut que remercier ce chanteur de se servir de sa notoriété pour restituer sa plénitude à un rôle qu’on avait pris l’habitude de sacrifier[3] depuis des décennies.
On souhaiterait en revanche ne plus présenter le Figaro de Pietro Spagnoli. Même si depuis sa médiocre prestation madrilène, le baryton italien a clairement progressé en termes de tenue de scène et d’abattage, ses moyens restent limités. Vocalement, l’instrument est bien projeté, sonore. Mais le grave est rare et l’aigu est difficile : une belle voix, mais réduite à 10 notes. Certes, le chanteur remplace au pied levé Simon Keenlyside qui a déclaré forfait pour toute la série : mais ne pouvait-on vraiment trouver un chanteur juste capable de chanter correctement toutes les notes du « Largo al factotum », ici vite expédié et encore plus vite oublié ?
Alessandro Corbelli est un autre habitué des basses bouffes rossiniennes qu’il défend avec humour mais sans jamais sacrifier la qualité de son chant. Son interprétation tout en finesse du Docteur Bartolo évite la caricature pour offrir un personnage somme toute très humain, beaucoup moins antipathique qu’en d’autres occasions.
Ferruccio Furlanetto clôt le quatuor avec un Don Basilio lui aussi bien connu. Le chanteur est spectaculairement sonore mais, l’âge venant, évite toutes variations spectaculaires. On lui pardonnera, compte tenu des prouesses physiques que lui impose la mise en scène (comme de conclure sa « Calomnie » debout en équilibre sur les accoudoirs d’un fauteuil !) et pour des talents comiques proprement irrésistibles.
Citons enfin Jennifer Rhys-Davies, excellente Berta, scéniquement et vocalement, très à l’aise dans son air également rétabli et chanté avec l’abattage et la virtuosité nécessaire.
A la tête d’une phalange un peu moins distraite que la veille dans La Traviata, Antonio Pappano trouve un juste équilibre entre vivacité du tempo, éclat de l’orchestre et suivi des chanteurs. Mais comme la veille, il n’évite pas toujours certains décalages (comme dans la « Calomnie »). On lui saura toutefois gré d’une partition intégrale dont il accompagne lui-même les récitatifs.
Placido Carrerotti
[1] De mon point de vue, il n’y a rien de pire que ces productions farcies de gags où les rires du public empêchent l’audition des chanteurs.
[2] Pour la leçon de musique Rosina apparait donc s’appuyant sur une béquille (décorée d’une fleur en papier), pousse un cri à la vue d’Almaviva grimé et explique « je me suis blessé au pied », ce qui entraine une explosion d’applaudissements dans la salle.
[3] Pour l’anecdote, lorsque Rockwell Blake, sans doute le meilleur rossinien du XXe siècle, chanta le rôle au Metropolitan de New-York, il dut batailler avec le chef, le médiocre Raph Weikert, pour que cet air, où il s’illustrait pourtant de manière unique ne soit pas coupé ! Malgré quelques coupures, l’essentiel fut préservé : que de chemin parcouru depuis 1988 puisqu’en 2007 le Met offrait à Florez une nouvelle production de l’ouvrage avec rétablissement de l’air.
Réagissez à cet article, votre commentaire sera publié
{cms_module module=’FormBuilder’ form=’contac