Créée en 2013, la production de Stefan Herheim des Vêpres siciliennes revient avec une distribution légèrement renouvelée. Bryan Hymel reprend le rôle d’Henri de Montfort avec même encore plus de panache. La voix a gagné en épaisseur dans le médium, sans que le suraigu ne soit affecté (le ténor américain s’amuse même à rajouter un ré bémol à la fin de son premier duo avec Montfort, et un contre ut au suivant) : sa grande scène de l’acte IV, d’une tessiture très centrale, est tout à fait enthousiasmante (trois jours plus tard, il chantait Pinkerton au Théâtre des Champs-Elysées, rôle beaucoup moins aigu). L’engagement dramatique est électrisant. Certes, le timbre reste particulier, assez nasal. Le français est correctement énoncé, quoique perfectible (on est loin des attentes de Sylvain Fort !). Défauts mineurs au regard d’un des rôles de ténor les plus difficiles du répertoire, auquel le chanteur rend largement justice.
On retrouve également le Guy de Montfort de Michael Volle, toujours aussi émouvant. Certes, après 25 ans de carrière et une longue fréquentation de rôles lourds wagnériens ou straussiens, la voix accuse son âge et une certaine usure. Mais il faudrait un cœur de pierre pour ne pas être conquis par la caractérisation de ce personnage, a priori monstrueux, dont il arrive à faire ressortir la pitoyable humanité (on pense ici à Rigoletto). On tire son chapeau devant certaines prises de risques vocales : par exemple, un aigu tenu, forte puis piano, sur « Mon fils », prouesse qui est tout sauf gratuite, tant elle contribue à rendre plus émouvants les tourments de ce père rejeté. Le français est cette fois très bon.
Erwin Schrott est à nouveau Procida, avec une voix d’une projection incroyable. La caractérisation dramatique va au-delà de la simple incarnation d’un extrémiste sans scrupules (qui pousse les français à martyriser les siciliens pour que ces derniers se révoltent) : son Procida est aussi en fusion charnelle avec son pays (connaissant le patriotisme de Verdi, cette approche semble d’ailleurs logique).
© ROH/Bill Cooper
Par quelle aberration Rachele Stanisci a-t-elle pu être choisie pour assurer les dernières représentations en alternance avec Malin Byström ? La voix est petite, disparaissant dans les ensembles, trios, duos … Le timbre nous a semblé usé. Les vocalises du boléro du cinquième acte sortent comme par miracle, mais les trois aigus de son air précédent, « Ami le cœur d’Hélène » sont ratés avec une remarquable constance.
Succédant à Antonio Pappano, Maurizio Benini peine à accompagner le drame, avec une direction un brin schizophrénique. Peu de legato, peu de rubato : le tempo est uniformément rapide, mais sans énergie car le son de l’orchestre est uniformément plat. Pas un coup de cymbales, pas un accent des cuivres, ne viennent appuyer la situation dramatique. Nous avions déjà décrit la production de Stefan Herheim, qui traite, en creux, des relations entre artistes et public au XIXe siècle (on se rappelle que les danseuses de l’Opéra de Paris se livraient régulièrement à la prostitution auprès de généreux mécènes) : elle est ici reprise de manière affadie, sans doute pour ne pas donner au public trop d’occasions de se poser des questions. Dans la scène finale originale, Procida, en ange de la Mort habillé comme la mère d’Hélène, tue tous les français et siciliens « collabos » à sa portée. Mais Montfort, puis les autres, se relèvent avec un éclat de rire : la possibilité d’une révolte des artistes (les siciliens) contre le public « bourgeois » (les français) n’est qu’une illusion. Mais ce soir, Montfort n’est même pas « tué » par Procida. Qu’en penserait Herheim ?