« Venez petites filles dans mon comic (s)trip » pourraient titrer les Brigands avec cette version très pop des P’tites Michu proposée à Nantes et Angers avant une reprise parisienne au théâtre de l’Athénée du 19 au 29 juin prochain dans le cadre du festival Palazzetto Bru Zane.
Blanche Marie et Marie Blanche ont été élevées comme des jumelles dans la tourmente révolutionnaire alors que l’une est aristocrate et l’autre fille des Halles. Bébés, c’était bonnet-blanc et blanc-bonnet, elles se ressemblaient trop et les parents Michu ne savent plus quelle petite est de leur sang. Les adolescentes ont le coeur qui s’emballe, les projets de mariage s’échafaudent… mais on ne saurait déchoir, il faut se marier selon son rang. André Messager brode ici avec grande sensibilité une partition délicate et jamais bavarde, impeccablement dirigée par Pierre Dumoussaud à la tête de l’Orchestre National des Pays de la Loire. Le jeune chef, précis, fougueux, n’a pas 30 ans ; valeur montante de la profession, il a d’ailleurs remporté l’an passé le premier concours international de Chefs d’Orchestre d’Opéra organisé par l’Opéra Royal de Wallonie-Liège.
Le sujet un peu daté, appelait un dépoussiérage ; la compagnie des Brigands creuse la veine du décalage graphique qui lui avait plutôt réussi lors de leur dernière création d’envergure – Les Chevaliers de la Table Ronde – tout en gommant les outrances qu’on pouvait alors leur reprocher. Au noir et blanc succède un univers aux couleurs vives et bubblegums. L’équipe artistique, fort jeune, s’est constituée dès l’école du Théâtre National de Strabourg. Sous la houlette de Rémy Barché, Salma Bordes et Oria Steenkiste s’inspirent des séries d’AB productions, de l’Amérique sixties fantasmée de Happy Days ; elles convoquent même les Demoiselles de Rochefort. On retrouve ici la même fraicheur, les mêmes couleurs acidulées d’un monde déconnecté du réel mais pétri de charme. Les illustrations de Marianne Tricot font beaucoup également pour nous transporter dans une sorte « d’opéra graphique » – comme il y a aujourd’hui des romans graphiques. Le trait est très contemporain, il permet d’habiles flashbacks, illustre les secrets, les émotions des personnages d’une manière délicieusement naïve. Rémy Barché déjoue ainsi le côté surrané de la pièce et atténue la portée d’un message rétrograde : bon chien chasse de race. Même élevée hors de son milieu, une aristocrate ne pourra se satisfaire d’une vie vulgaire, ni une fille du peuple se sentir à l’aise dans un château. Le jeune metteur en scène vient du théâtre et s’attaque pour la première fois au répertoire lyrique. Il orchestre tambour-battant cette pièce légère et tire le meilleur d’un plateau de chanteurs-comédiens qui s’amusent manifestement. On pourrait lui reprocher une vitalité qui tourne parfois à l’agitation systématique mais comment ne pas rire des cabrioles enthousiastes d’Artavazd Sargsyan ou encore du rap endiablé de Damien Bigourdan et Violette Polchi ?
© Nemo Perier Stefanovitch
Cette dernière emporte totalement l’adhésion, tant par son naturel pétillant que par un mezzo bien timbré aux graves soyeux. Sa jumelle, Anne-Aurore Cochet, se doit d’être plus réservée sur scène mais en profite pour apporter une jolie subtilité à son personnage au soprano lumineux. Les voix sont très complémentaires et se marient particulièrement bien dans les duos, notamment l’exquise prière à Saint Nicolas. Les parents de ces p’tites Michu, Marie Lenormand et Damien Bigourdan, sont irrésistibles de drôlerie, formidables comédiens autant que chanteurs. On savait combien la première a de gouaille et d’assise vocale, le second, quant à lui, nous avait déjà régalé dans Mamz’elle Nitouche, et montre ici une facette plus bouffonne encore de son talent. L’autre père de l’histoire, le Général des Ifs, est incarné par Boris Grappe dont la voix parlée semble bizarrement plus percussive que la voix chantée, on lui voudrait plus d’ancrage et de profondeur. En revanche, sa diction impeccable lui permet de se sortir haut la main d’un air au tempo et au texte acrobatique.
A nos deux jumelles, il faut deux amoureux qui ne déparent pas : Philippe Estèphe est un Gaston à la voix d’un beau métal, joliment projetée auquel répond un Artavazd Sargsyan délicieusement clownesque aux registres bien unifiés et aux aigus amples et généreux. Complétant cette distribution d’excellente tenue, la directrice de pension de Caroline Meng nous réjouit d’un timbre corsé et bien ancré de maitresse-femme tandis que Romain Dayez campe un Bagnolet vibrionnant et hilarant.
Une opérette façon BD, menée avec maestria par une équipe à l’énergie aussi juvénile que joyeuse, excellente façon de déniaiser les p’tites Michu.