Au sortir de cette production attendue, on s’interroge, car les oreilles sont beaucoup mieux traitées que l’oeil. En quoi la mise en scène sert-elle l’ouvrage ? Certes, des projections de brèves séquences juxtaposées plongent le spectateur dans les fonds marins, traduisent la fièvre et la passion religieuse de visages et de corps cinghalais, mais ces illustrations anecdotiques, parfois très fortes, contredisent le statisme et l’uniformité visuelle des chœurs.
La mise en scène tire sa cohérence de la symétrie voulue entre le premier tableau, où les corps des trois jeunes sont devinés sous un large voile, et qui y retourneront à la fin, comme de l’économie de moyens. Sinon, où sont la couleur (réservée aux éclairages et aux projections), la poésie, le mystère, l’exotisme ? Un seul accessoire, qui prête à sourire, voire à s’esclaffer : une monumentale épée (de bois) est confiée à Zurga pour traduire son autorité de chef de la communauté des pêcheurs. Cette Durandal n’est pas plus incongrue que les cravates que portent Nadir et Zurga, ou que les talons de Leïla. Les chœurs sont en Qamis pakistanais (pantalon, tunique et pakol), et les femmes en blanc écru, pour donner un vague air oriental (démenti par les vidéos). Les éclairages, scolaires, ne participent pas davantage à créer les climats singuliers de la partition. La direction d’acteur est proprement insignifiante, la gestique sent toujours l’artifice, le cliché, voire la concession à la mode (les ébats appuyés de Leïla et Nadir, puis avec Zurga). La caractérisation est superficielle, inaboutie. Bref, on n’y croit pratiquement jamais, quelle que soit la qualité expressive du chant. Ici, Ceylan, c’est laid. Une version de concert, éventuellement mise en espace, aurait eu l’avantage de ne pas dénaturer le sujet, et de préserver sa part de mystère, de poésie et de passion de ces Pêcheurs de perles. Sans qu’il eut davantage de moyens, souvenons-nous de la réalisation que nous offrait Bernard Pisani (« Pour Alexandre le Grand »).
C’est d’autant plus déplorable que les interprètes, en scène comme en fosse, ne méritent pas un tel traitement. L’orchestre, attaché à Opéra éclaté, surprend par son professionnalisme et ses qualités indéniables : Clarté, cohésion, précision, soli instrumentaux remarquables, force comme couleurs chambristes. La direction de Gaspard Brécourt, toujours attentive et engagée, ne pêche que par une balance parfois défavorable au chant, particulièrement au premier acte. La force expressive du finale du 2ème acte est un beau moment. Depuis 1965, les infidélités posthumes aux Pêcheurs de perles sont bien connues. Alors pourquoi répéter encore les coupures, transformations, substitutions de Carvalho, reprises sans scrupules par les éditeurs ? Pourquoi n’avoir pas profité de l’occasion pour réintroduire « Amitié sainte » dans le premier duo entre Nadir et Zurga ? Pourquoi ne pas reprendre le chœur dansé original, avec l’air de Nadir en son milieu ? Pourquoi imposer ce déplorable trio (qui n’est pas de Bizet) avant la scène finale ? Les chœurs, 22 chanteurs, n’appellent que des éloges. Puissants, articulés, sans jamais le moindre décalage, aux couleurs séduisantes, ce serait un constant bonheur si la mise en scène ne les confinait pas dans un rôle purement décoratif, statique, qui contredit l’esprit de l’ouvrage. A ce propos, le caractère « dansé » du chœur féroce du dernier acte n’est traduit que par la vidéo.
De la distribution, dont aucun chanteur ne démérite, retenons déjà le Nourabad de Jean-Loup Pagésy. La voix est idéale, impressionnante, sonore, noble et libre, d’une intelligibilité constante, le timbre au métal policé. La langue s’inscrit dans la plus pure tradition du chant français, le legato toujours contrôlé. Que ne l’entend-on plus souvent ? Le jeu de Leïla, chantée par Serenad Burcu Uyar, manque de mystère, de fraîcheur, d’élégance. Par contre la voix est superbe, ample, lyrique à souhait, virtuose, avec un aigu mezza-voce doré, ductile et facile. Les colorature du premier acte sont impeccables. Le medium, corsé, surprend, dont les tenues sont assorties d’un vibrato parfois dérangeant. La couleur, idéale dans le registre aigu, est par trop charnue, pour une jeune fille vouée au culte de Brahma. Bien sûr, « Comme autrefois, dans la nuit sombre » suscitera des applaudissements nourris. Mark Van Arsdale, jeune ténor américain, dont la réputation commence à prendre racine en France, nous vaut un beau Nadir. Rien dans sa langue ne trahit son origine. Sa romance est tout-à-fait honnête, d’une belle ligne, servie par un orchestre attentif. «De mon amie, fleur endormie » avec le hautbois, est particulièrement réussi. Son duo avec Leïla « Ton cœur n’a pas compris le mien » est un des moments où on oublie l’image imposée pour la qualité expressive du chant. Le Zurga de Paul Jadach, puissant, bien timbré, serait considéré comme bon, voire excellent dans des pays non-francophones. Malheureusement, même en connaissant le livret, il faut surveiller le sur-titrage pour comprendre nombre de ses interventions. C’est dans son air qui ouvre le 3ème acte (« L’orage s’est calmé ») et dans le duo qui suit qu’il se montre vocalement et dramatiquement le meilleur, malgré les ébats imposés par la mise en scène.
Cette production d’Opéra Eclaté (Olivier Desbordes), musicalement achevée, créée à Pforzheim en février, donnée il y a quarante-huit heures à Saint-Céré, se posera à la rentrée à Clermont-Ferrand.