« C’est le début des années Koch ! » prophétise Christophe Ghristi dans le n°2 d’En scène, le nouveau journal de l’Opéra National de Paris qui, soit dit en passant, n’a rien à envier – au contraire ! – à son prédécesseur, l’impénétrable Ligne 8. La mezzo-soprano, absente des salles parisiennes depuis quelques temps1, effectue un retour attendu dans la capitale, retour auquel, on le sait, la nomination de Nicolas Joel à la tête de la première scène nationale n’est pas étranger. Elle devrait interpréter Charlotte (Werther) à la Bastille en début d’année prochaine avant d’offrir sa première Fricka dans L’Or du Rhin au mois de mars. Elle est aussi annoncée au Palais Garnier dans un récital Chausson (Le poème de l’amour et de la mer) et Elgar (Sea Pictures) dirigé par Philippe Jordan. Enfin, faisant fi de la clause d’exclusivité qu’a voulu imposer Nicolas Joel en mars dernier, elle ouvrait ce 5 novembre la nouvelle saison de l’Opéra Comique dans un concert hommage à Hector Berlioz avec, entre Waverley et Harold en Italie, des Nuits d’été qui sur le papier donnaient beaucoup à espérer. Sophie Koch donc mais aussi Sir Colin Davis, berliozien émérite, à la tête d’un Orchestre National de France familier de ce chef et de ce répertoire (on se souvient d’un Béatrice et Bénédict en mal de répétitions au Théâtre des Champs-Elysées la saison dernière).
Concert prometteur, trop sans doute pour un cycle de mélodies quintessencié dont plusieurs cantatrices, Régine Crespin en tête, ont laissé des interprétations quasi définitives. Difficile de chanter après : Sophie Koch souffre de la comparaison. Ce n’est ni la beauté du timbre qui est en cause, ni la longueur de la voix, égale sur toute la tessiture, ni même l’art de l’interprétation, toujours très engagée, mais quoi alors ? Pourquoi cette impression de malaise qui s’installe dès les premiers mots et qui reste présente tout au long du cycle ou presque ? Le trac sans doute, la pression perceptible d’un retour trop désiré et trop annoncé ; la nécessité de mieux s’approprier une œuvre délicate. L’élocution aussi. Le texte demeure incompréhensible à qui n’en connaît pas déjà les paroles. Le soin extrême enfin porté à une ligne que les tempi, plutôt lents, choisis par Colin Davis rendent inconfortable. Après un « Villanelle » qui comme souvent en concert cueille l’interprète à froid, la voix se déplie prudente sur « Le Spectre de la rose », troublée par la tonalité instable des premières strophes, trop incarnée dans l’évocation du parfum, absente dans l’épitaphe. Le malaise s’estompe avec un « Sur les lagunes » affranchi, qui se pare de couleurs d’orage .Les contrastes imaginés par Berlioz entre le grave (« ma belle amie est morte » ; « comme un linceul ») et l’aigu (« Je n’aimerai jamais une femme autant qu’elle » et bien sûr le « Ah ! » du « Ah ! sans amour s’en aller sur la mer »), entre l’ombre et la lumière, sont magnifiés. On se dit alors que la température va monter et effectivement, on retrouve dans « Absence » le même dramatisme exacerbé qui réchauffe ces nuits d’été. Puis, curieusement, à nouveau le chant se glace. Le sens des mots échappe. « Au cimetière » s’immobilise, dépourvu de frémissement. Les accents joyeux de « L’île inconnue » semblent forcés.
L’intérêt se porte alors sur le tissu orchestral brodé par Colin Davis, le geste souple, investi au point d’échapper sa baguette et de flanquer sa direction de quelques râles expressifs qui perturbent l’écoute des spectateurs des premiers rangs. Qu’importe. L’accompagnement des Nuits d’été est d’un raffinement sans égal, avec une palette incroyable de sons, et les paysages fièrement dessinés d’Harold en Italie parviennent enfin à embraser la salle.
1 A noter cependant qu’il n’y a pas si longtemps (février 2009), Sophie Koch chantait Octavian aux côtés de Renée Fleming dans une version de concert de Der Rosenkavalier au Théâtre des Champs –Elysées. En 2008, elle avait interprété des grands airs d’opéra au Théâtre Marigny en faveur de La Chaîne de l’espoir.