L’Opéra Garnier affichait salle comble ce soir pour la reprise des Nozze di Figaro dans la production de Netia Jones, créée in loco en janvier dernier. Comme l’a indiqué Clément Tallia dans son compte-rendu la metteuse en scène britannique a choisi de situer l’action de nos jours, dans les coulisses d’un opéra, en l’occurrence le Palais Garnier, où l’on répète …Les Noces de Figaro. Ce procédé, largement exploité par Robert Carsen, notamment dans ses Contes d’Hoffmann à Bastille, a le mérite de bien fonctionner. Pour le tableau final où l’on voit au fond du plateau le foyer de la danse, Netia Jones s’est probablement inspirée de la production de Capriccio réalisée en 2004 par le metteur en scène canadien. Cette mise en abyme permet de montrer à certains moments les interprètes en costumes dix-huitième sans pour autant situer l’action en ce temps-là. Cela nous vaut d’ailleurs quelques faux anachronismes comme Le Comte utilisant son téléphone portable ou Figaro son ordinateur, tous deux en tenue d’époque. L’un des principaux jeux de scène des personnages consiste à se déshabiller et se rhabiller à tout moment, dévoilant leurs dessous, ce qui met en difficulté Gérald Finley lorsqu’il chante son air du trois en retirant son pantalon.
Le décor du premier acte représente trois loges en enfilade, le deuxième se situe dans la loge de la Comtesse, le troisième dans un gigantesque vestiaire sur trois niveaux avec des portants chargés de vêtements au sol et dans les étages, le dernier sur le plateau nu. Figaro est perruquier, Suzanne habilleuse, Bazile chef de chant et Barberine, un petit rat. Marceline et Bartolo font partie de l’équipe de direction, quant à la Comtesse et son époux, ils sont les stars du spectacle. Le Comte est présenté comme un prédateur sexuel qui en plus de convoiter Suzanne reluque les danseuses, en particulier Barberine. Etant donné le sujet de l’ouvrage qui fait écho à l’actualité récente, la tentation était grande pour Netia Jones d’y insérer un plaidoyer féministe. Ainsi l’hommage du personnel à la fin du premier acte « Giovani lieti, fiori spargete » est l’occasion d’une distribution de tract contre les violences faites aux femmes. La metteuse en scène a également recours à des projections vidéo pour surligner les passages signifiants à ses yeux. Enfin, le dénouement est modifié puisque si, comme le dit la musique, la comtesse accorde son pardon à son époux, son interprète restitue son alliance au sien qui quitte la scène, furieux.
Rien d’indigne finalement dans ce spectacle visuellement réussi qui a valu à Netia Jones et son équipe des applaudissements nourris au rideau final.
© Charles Duprat
La distribution a le mérite d’être homogène et de comporter quelques éminents mozartiens dont certains étaient déjà présents en janvier dernier. Le grand triomphateur de la soirée est Luca Pisaroni qui depuis une vingtaine d’années a promené son Figaro sur les plus grandes scènes de la planète. Autant dire qu’il en connaît toutes les facettes, qu’il restitue à merveille dans une incarnation fouillée et haute en couleur. En grande forme vocale, la basse italienne interprète ses trois airs avec autant de classe que de conviction et habite les récitatifs avec toute la verve qu’on lui connaît. A ses côtés la comtesse de Miah Persson conjugue charme et distinction dans une interprétation sobre, teintée de mélancolie. On apprécie l’élégance de sa ligne de chant nuancée notamment dans la reprise piano de « Dove sono ». Seules d’infimes duretés dans les notes aiguës trahissent le passage des ans. Gérald Finley campe un Almaviva jouisseur et retors, préoccupé tout autant par son plaisir que par son honneur. Si le personnage est pleinement convaincant, la voix manque par moment de projection. Il tire néanmoins son épingle du jeu dans son air « Vedrò mentr’io sospiro » modèle de chant mozartien. Si l’on en juge par l’enthousiasme qu’elle a soulevé au rideau final, la Suzanne de Jeanine De Bique a conquis le public ; qu’il nous soit permis cependant de trouver la voix trop légère pour le rôle et limitée dans le grave. Néanmoins le style est impeccable et la soprano qui se révèle fine comédienne fait jeu égal avec Pisaroni. Le Chérubin espiègle et virevoltant de Rachel Frenkel lui permet de faire des débuts remarqués à l’Opéra de Paris d’autant que le timbre est fruité et le chant raffiné. James Creswell est un Bartolo à la voix sonore et au grave profond, Sophie Koch campe une Marceline de luxe, impayable dans sa tenue d’executive woman. Enfin Éric Huchet est un Bazile bien chantant et obséquieux à souhait. Ilanah Lobel-Torres, touchante Barberine et Franck Leguérinel truculent Antonio n’appellent que des éloges.
© Charles Duprat
La partition comporte les traditionnelles coupures des airs de Marceline, « Il capro e la capretta » et de Bazile « In quegli anni in cui val poco » au quatrième acte. D’autre part les chanteurs ornementent avec goût et discrétion les reprises de leurs airs.
Louis Langrée dirige avec fougue et un sens aigu du théâtre cette partition foisonnante ménageant avec brio séquences éthérées comme le duo « Sull’aria » et rythmes endiablés comme le final du deux.