Dans le cadre de la Tétralogie proposée en deux saisons par le Staatsoper de Berlin (en coproduction avec la Scala de Milan), bien que l’équipe artistique soit peu ou prou semblable à celle de La Walkyrie, cette deuxième journée du festival scénique – L’anneau du Nibelung – suscite un enthousiasme plus retenu.
La mise en scène de Guy Cassiers joue à nouveau sur les lumières colorées et les projections pour camper les différentes ambiances : forge, forêt, rocher, mais accumule par ailleurs d’inutiles subterfuges scéniques qui contribuent à perturber la perception, souvent onirique, du spectacle.
Ainsi au premier acte, la surabondance d’éléments métalliques (projection d’images de ferrailles sur le fond de la scène, sculptures géantes composées d’épées enchevêtrées, échafaudage métallique sur lequel évoluent les chanteurs) rivalise avec la profusion d’écrans plasma diffusant des images imprécises de magma.
Certains tableaux de l’acte II sont de toute beauté car simplement constitués d’une forêt de troncs stylisés par des filets sur lesquels varie un éclairage en demi teinte. Toutefois il est toujours étonnant de constater le décalage qu’il peut y avoir entre une technologie scénique très sophistiquée et des trucages de plateau rudimentaires. Ainsi le dragon Fafner est constitué d’un morceau de tissu agité par cinq danseurs qui n’auront de cesse, après son exécution, de tournicoter autour de Siegfried vraisemblablement pour symboliser une protection magique et bienveillante émanant de sa victime… Ils daigneront cependant se retirer lorsque la découverte de Brünnhilde – jonchée sur un rocher drapé de chiffons – par Siegfried tourne au tête à tête (acte III). Si l’acte I est placé sous le signe du métal, les deux autres le sont sous celui de l’étoffe !
L’orchestre, toujours dirigé par Daniel Barenboim, se livre une nouvelle fois à une mise en perspective de certains pupitres, souvent inaudibles dans les directions plus traditionnelles du Ring. On note cependant qu’à vouloir être trop discrètes, certaines attaques des cuivres sont légèrement défaillantes.
La distribution est d’une grande homogénéité dans ce qui se fait de mieux. Lance Ryan (Siegfried) est le ténor héroïque du moment (réclamé par les plus grandes scènes internationales, y compris Bayreuth) dont la technique particulière, qui consiste à concentrer sa voix dans les résonateurs pour obtenir une meilleure performance, a pour effet de la nasaliser à l’excès, de rendre son émission à la fois serrée et acérée au point de devoir détimbrer complètement pour obtenir un piano. Avec un tel traitement, souhaitons-lui que son organe ne subisse pas le sort qu’à connu celui de Siegfried Jérusalem au lendemain de ses premiers succès. Peter Bronder joue un Mime veule et pleutre comme il se doit. La scène des énigmes croisées avec le Wanderer, nécessaire pour la compréhension de ce qui s’est précédemment passé, permet à Juha Uusitalo de nous faire apprécier la puissance égale de son registre tandis que les autres scènes qui le confrontent à Alberich puis à Erda laissent entrevoir sa vaillance et son endurance. Johannes Martin Kränzle est un Alberich très convaincant même si il n’est pas aussi sombre ni vindicatif qu’on pourrait s’y attendre. Nous retrouvons Mikhail Petrenko (le Hunding de La Walkyrie) dans une prestation vocale plus classique quoique anecdotique de Fafner. Rinnat Moriah (l’oiseau de la forêt) lance de merveilleux aigus qui sont les bienvenus après ces joutes vocales exclusivement masculines. Anne Larsson (Erda), contralto suédoise au physique de Blanche-Neige, nous gratifie de superbes graves bien sonores lors de son apparition à grand renfort d’étoffe puisque sa robe est cousue dans la cascade de tissu tombant des cintres qui constitue le décor. Enfin nous retrouvons la Brünnhilde d’Irène Theorin sous une facette plus humaine de son personnage, alliant des sons d’une extrême douceur lors de son réveil à de véhéments et vaillants aigus sur lesquels le rideau tombe.
Il nous faudra attendre plusieurs mois pour retrouver nos héros pour le dernier volet de cette épopée et démêler l’écheveau des différentes pistes de lecture que nous propose cette production.