En 1687 meurt le grand Lully. La disparition de ce surintendant hégémonique ouvre la voie à une myriade de nouveaux compositeurs parmi lesquels Campra, Destouches et Desmarest se distinguent particulièrement. Après Metz, c’est donc au tour de l’opéra royal du château de Versailles d’accueillir ces « compositeurs de Louis XIV » dans un concert couvrant près de cinquante ans d’histoire lyrique en France. Juste retour au bercail pour ces musiciens dont l’œuvre reste généralement à découvrir. Si un certain âge d’or versaillais est bien évoqué par quelques extraits de spectacles conçus par Lully avec Molière ou Quinault (Psyché, Atys et Le Bourgeois gentilhomme), le programme explore surtout le devenir de l’opéra français après la mort du Florentin. Cette époque est marquée par l’émergence de l’opéra-ballet, dont le ton plus léger allège la morosité de la France d’alors, et par l’évolution de la tragédie lyrique, entre expérimentation et déférence à l’égard du modèle lulliste, le tout sous influence italienne : les « goûts réunis » triomphent.
C’est donc à un passionnant panorama que nous convient Les Ambassadeurs sous la baguette d’Alexis Kossenko. Le concert est habilement agencé en sections, introduites pas des ouvertures, qui alternent des scènes entières ou des airs avec des pages instrumentales, pour un résultat cohérent qui évite toute impression de grappillage. Rompue à ce répertoire, Katherine Watson en maîtrise parfaitement le style et la langue. Sa voix courte aux deux extrémités n’est pas particulièrement puissante, mais son centre de gravité convient aux parties de dessus de l’époque. L’expression est délicate, pudique, et rend bien les sentiments mesurés, la tendresse et la mélancolie. Pour explorer l’héritage lulliste, la soirée commence naturellement par un extrait de l’Orphée de Louis de Lully, fils du maître. C’est l’occasion de saisir Eurydice seule aux Enfers, scène rarement représentée. L’ensemble est sympathique, mais la scène d’Ariane et Bacchus qui suit, aux accents variés, séduit davantage et atteste du grand talent orchestral de Marin Marais. La première Ariane était la grande tragédienne Marthe Le Rochois, également interprète de la Galatée de Lully et de la Circé de Desmarest : convaincante dans la douceur, Watson a des accents trop retenus lorsque ces héroïnes rugissent. Il y faudrait une déclamation embrasée, des mots sculptés et projetés avec plus de grandeur et de véhémence. Néanmoins, la première partie se conclut sur la plainte italienne tirée de Psyché, incluant une reprise richement ornée par Michel Lambert. Cette langue et cette vocalité plus lyrique retrouvent Watson à son avantage.
Si la seconde partie du concert fait mieux sentir les talents de la chanteuse, c’est justement du fait de l’italianité affirmée de Campra, dont le génie irrigue chacun des extraits choisis. Des lignes plus amples et un charme mélodique immédiat flattent la soprano dans le monologue de Zaïde (pour Mlle Desmatins) qui ouvre l’acte turc de L’Europe galante et dans la scène de la Pythonisse (pour Mlle Antier) tirée de l’inédit Télèphe, aimablement contrastée. Ce style « cantate » est plus net encore en fin de concert dans le Polydore de Stuck, où l’influence italienne est très prégnante ; Marie Antier en était l’interprète en 1720. Là encore, Watson a de l’allure, mais pas toute la force requise. Entre-temps résonne le sublime « Espoir des malheureux » d’Ilione dans Idoménée, créé par Mlle Journet à l’instar de Sylvie dans Les Festes de l’été de Pignolet de Montéclair. Cette découverte charmante vaut à l’interprète des applaudissements mérités, répétés après un « Coulez, ruisseaux » poétique d’ailleurs repris en bis. Alexis Kossenko vient en expliquer les vertus au public, notamment une écriture novatrice pour violoncelle solo. Le chef abandonne parfois sa direction sautillante pour jouer de divers bois au fil du concert, qui met souvent les flûtes à l’honneur (joli prélude de Colasse extrait des Saisons). Les Ambassadeurs forment un ensemble à la plénitude sonore variable, qui se distingue par d’élégants phrasés au diapason de la soprano. Un peu de percussion (marche de Lully, rondeau de Marais) apporte une vivacité rythmique réjouissante à la seconde partie. La chanteuse et ses partenaires sont chaleureusement remerciés par le public de l’opéra royal, qui souhaitera peut-être prolonger ces découvertes en venant écouter Issé de Destouches, le 13 octobre prochain