« Opéra bouffe où l’on ne mange pas », annonce le rideau de scène, « Opéra-bouffe lourd à digérer » analyse Christophe Rizoud dans sa récente critique, « Nous avons pris beaucoup de plaisir et cela est bien l’essentiel » précise un couple de lecteurs de Forum Opéra… Nous ne reviendrons sur la querelle entre puristes et adaptateurs que pour préciser trois choses. Tout d’abord, qu’il est regrettable que la délicieuse ouverture soit occultée par l’agitation frénétique qui se déroule sur scène. Ensuite que les réductions d’orchestre – souvent de meilleure qualité que celle-ci –, sont monnaie courante pour Offenbach sans que quiconque s’en formalise. Enfin que le public, qui rit de bon cœur tout au long du spectacle et applaudit tous les airs, fait un triomphe aux interprètes au rideau final, avec plus d’une douzaine de rappels.
Parler de « chef d’œuvre » à propos des Chevaliers de la table ronde n’est-il pas un peu exagéré ? Car malgré quelques airs entraînants (« Quand le vin pétille… »), de savantes roucoulades et des pastiches du grand opéra, on n’arrive jamais au niveau d’originalité, de variété et de la science du public d’un Offenbach. Le livret, fait de saynettes collées bout à bout, n’a en fait, comme il est souligné dans le programme, que peu d’importance, et là aussi constitue une des grandes différences avec son illustre rival. De fait, il s’agit plus d’une opérette que d’un opéra bouffe dans le sens offenbachien. Le « Soldat de plomb » de Mam’zelle Nitouche apparaît déjà en plusieurs endroits de la partition (notamment dans l’air « Le plus joli métier du monde… »), et un clin d’œil supplémentaire y est ajouté ici avec le pensionnat de jeunes filles que dirige Merlin. Quant au non sens d’Hervé qui ravit tant les Anglais lors de la période londonienne du compositeur, il est très certainement à la base de certaines des idées musicales de Sullivan, comme par exemple l’air ultra rapide « Si l’existence est de ces choses ». Les deux danseurs épisodiquement présents font penser aux Anglais Wilson & Keppel (and Betty), encore une référence britannique laissant à penser que cette production ferait un tabac Outre-Manche.
© Guillaume Bonnaud
Sans doute le spectacle, qui reste toutefois bien long à se mettre en route, s’est-il bonifié depuis sa première représentation à Bordeaux. La diction tant parlée que chantée n’appelle que peu de critiques, et l’ensemble paraît plutôt uniforme, sans trop d’effets ni de dérapages sonores. Il n’en reste pas moins qu’au bout d’une heure, on a fait le tour des procédés de mise en scène de Pierre-André Weitz, et tout paraît limite ennuyeux. Mais l’ensemble est sauvé par des chanteurs acteurs de grand talent, qui composent une galerie de personnages irrésistibles. La duchesse Totoche d’Ingrid Perruche est merveilleusement délirante et ce soir vocalement tout à fait convaincante, sa fille Lara Neumann (que l’on a déjà appréciée par le passé, comme beaucoup d’autres, dans la troupe des Brigands) fofolle à souhait, et Damien Bigourdan (le duc) à la fois fort drôle et pivot de la distribution. On ne peut citer tous les interprètes, mais ceux-ci montrent qu’avec ces voix habituées aux grandes salles et au grand opéra, ce spectacle peut prétendre s’adapter aux espaces les plus divers. Antoine Philippot (Sacripant) et Manuel Nuñez Camelino (Médor) sont également excellents, mais il ne faudra pas manquer, en 2016, deux prises de rôle qui promettent : respectivement Flannan Obé et Mathias Vidal.