Après celui de Philippe Boesmans, avant le montage sur des musiques de Kurt Weill, Mozart, Vivaldi, Chopin et Ravel que proposera le TCE en mars prochain, Angers Nantes Opéra nous offre Les Aventures de Pinocchio, reprise de la dernière adaptation de Lucia Ronchetti, créée à Rouen en février 2017, commande de l’Ensemble Intercontemporain. Familière du traitement lyrique et dramatique de la voix, comme de l’œuvre d’Aperghis et de Mauricio Kagel, reconnue par de prestigieuses institutions, la compositrice invite le jeune public à accompagner la marionnette dans ses aventures, en un peu moins d’une heure. La réalisation mérite davantage que la relative indifférence qui a salué sa création comme cette riche tournée.
Modestes par leur propos, par leurs moyens, ces Aventures de Pinocchio relèvent du théâtre de rue. A l’égal de l’Histoire du soldat, ou des Tréteaux de maître Pierre, la production mobilise des moyens réduits – une voix et quelques musiciens – visant avant tout le jeune public. Les exclamations spontanées durant le spectacle, comme les chaleureuses acclamations réservées aux artistes témoignent de la réussite du projet, plus ambitieux qu’il y paraît.
Juliette Allen (Pinocchio) © EIC
Il est fait appel aux musiciens pour jouer les personnages qui s’expriment au travers de leur instrument, et qui interviennent directement auprès de Pinocchio. Ce qui n’appelle que des éloges, d’autant que chacun semble avoir été recruté en fonction de son physique et de ses dons de comédien autant que pour ses qualités musicales, le géant contrebassiste, le souple corniste…Le cor se fait chat, le violon, renard, chouette, chien, requin, la contrebasse joue les méchants, les percussions se prêtent à chacun, quant au touchant Gepetto, c’est le violoncelle qui l’exprime, avec lyrisme. La narration est bien conduite, mais l’ingénieux montage d’épisodes enchaînés avec fluidité ne pouvait-il se doubler d’une progression dramatique ? La dramaturgie exploite-t-elle assez les contrastes entre l’exubérance et l’effroi, entre la tendresse et la violence ? L’aboutissement des épreuves, souvent douloureuses, imposées à Pinocchio, qui accède à leur terme à la vie d’un enfant, méritait sans doute une intensité plus évidente, souvenons-nous du travail de Philippe Boesmans. La mise en espace est inventive. Quelles qu’en soient les contraintes, elle nous laisse cependant quelque peu sur notre faim. La magie, la joie débridée comme l’effroi le plus profond, musicalement illustrés, ne sont qu’esquissés par la scène. Tout repose sur la direction d’acteur, exemplaire, surtout à l’endroit des musiciens, habituellement rivés à leur siège. Le travail des éclairages, dépourvu d’imagination, pouvait mieux servir l’expression corporelle de chacun.
La partition, éblouissante, variée à l’extrême, réserve nombre de bonnes surprises. Tous les styles y font bon ménage, agrémentés de clins d’œil que seul l’auditeur aguerri aura perçu, même si le musicien, ici et là, regrette que la compositrice, soucieuse de concision, n’ait pas développé davantage telle ou telle scène, ainsi le début de lamento dans la scène du champ des miracles, ainsi l’amorce de marche funèbre parodique, peu après. Mais n’oublions pas que ce spectacle vise avant tout la jeunesse. Pourquoi Lucia Ronchetti, plutôt que d’écrire une mélodie simple, facile à mémoriser, reprend-elle le timbre d’une chanson de la Renaissance (Une jeune fillette, de Chardavoine) pour faire chanter son public ? Le traitement musical des épisodes caractérise chacun d’eux des références appropriées. L’usage très contemporain de toutes les possibilités expressives de chaque instrument est bienvenu, efficace, on s’inquiète même pour les mèches des archets tant elles perdent de crins…
Depuis la création Juliette Allen incarne Pinocchio comme la fée aux cheveux bleus. Tout repose sur elle. Sa présence vocale et dramatique relève de l’exploit. La voix est en parfaite adéquation avec le pantin fanfaron comme avec la douce fée protectrice : lyrique, parlando, sur le souffle, avec toutes les intonations possibles, c’est un bonheur constant que de l’écouter comme de la voir évoluer, se livrant à toutes les postures propres à créer chaque avatar de Pinocchio, du tronc mal dégrossi à l’âne violenté. Le medium est puissant, rond, coloré, les aigus aisés, incisifs ou légers, la voix parlée exemplaire. Egalement à l’aise dans tous les styles, depuis la légèreté belcantiste jusqu’au lyrisme le plus poignant, elle semble promise à une très belle carrière.