Presqu’un an après leur concert d’inauguration au Théâtre de l’Athénée, les Apaches, ensemble mené par la baguette de Julien Masmondet, à l’instar des autres ensembles en France, tentent de sortir la tête de l’eau après des annulations en cascade et l’accès toujours refusé aux salles de spectacles. Seule issue pour exister donc, un concert enregistré, le premier les concernant.
En coproduction avec le Musée d’Orsay et Camera Lucida Productions, l’ensemble joue dans la fameuse nef centrale du musée. Dès à présent, saluons la maîtrise des réalisateurs Gordon & François-René Martin, celui-ci s’illustrant particulièrement dans la vie musicale ces temps-ci pour proposer des objets visuels de grande qualité qui épargnent heureusement le spectateur d’une énième captation sans saveur. Ici, c’est un singulier jeu de miroirs qui est mis en place, offrant des plans baignés d’une belle lumière.
Comme pour leur précédent concert, les Apaches présentent un programme associant musique française du début du XXe siècle « en miroir » donc d’une écriture contemporaine. L’humeur est bestiale : la Création du Monde de Darius Milhaud, Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée de Francis Poulenc et Histoires Naturelles de Ravel s’enchaînent, ponctués par différentes créations de Pascal Zavaro, le Bestiaire disparu (2013) dont le drôle objet de composition s’intéresse manifestement à faire revivre musicalement des animaux disparus comme le crapaud doré du Costa Rica ou le loup de Tasmanie ; et Bestaire Chimérique, création mondiale, composée à partir de textes d’auteurs aussi éclectiques que Francisco Goya, Marco-Polo ou encore Gustave Flaubert, pour ne citer qu’eux.
Si la thématique est originale, l’interprétation, souvent grave, ne parvient pas à trouver l’effervescence si appréciable de ce répertoire, le tout s’enchaînant dans une ambiance tendant parfois à l’alourdissement. Difficile de s’y retrouver parmi les compositeurs et les animaux, vivants ou morts. L’écriture de Pascal Zavaro, qu’on a connu plus inspirée, ajoute à ce programme ses contrastes et jeux rythmiques, notamment dans Bestiaire chimérique, apportant un réel piquant à l’ensemble. La qualité de la performance des duos du Bestaire des animaux disparus par la violoniste Magdalena Sypniewski et le violoncelliste Alexis Derouin est par ailleurs à noter.
La direction de Julien Masmondet parvient à trouver un son cohérent et coloré, sans pour autant transcender l’ensemble. Certains déséquilibres sont néanmoins peut-être à mettre au compte de la prise de son légèrement trop étouffée, dont on comprend qu’elle doit masquer l’acoustique difficile de la nef.
Écouter Stéphane Degout reste en revanche toujours un réel plaisir. L’oreille se délecte toujours de la richesse et de la résonance du timbre du baryton. D’une force terrible dans Schubert lors de son précédent concert capté, il confirme ici qu’il maîtrise également la mélodie française. La prononciation est impeccable, l’articulation raffinée. S’étant déjà fait remarquer dans un enregistrement d’Histoires Naturelles en 2017, il sait utiliser ici ajuster sa puissance pour surplomber les arrangements – intéressants par ailleurs – d’Anthony Girard.
Il est toujours difficile d’apprécier une performance à travers un écran qui – faut-il vraiment le rappeler ? – n’offrira jamais une réelle compensation du regard. Comme pour les autres visionnages de concert, nous n’avons qu’une hâte, retrouver les Apaches sur leur terrain de jeu de prédilection : la scène !