A Monte Carlo cette semaine, Mozart embarque à bord d’un Orient Express des années vingt. Cette transposition, acrobatique au premier abord, fonctionne plutôt bien : le train, comme le sérail est un lieu clôt, d’où il est difficile de s’échapper. Les oukazes de Blondchen – anglaise et donc suffragette – sont aisément transposables après le premier conflit mondial, alors que les femmes répugnent à reprendre la place qui leur était assignée avant-guerre.
L’époque choisie permet à Francis O’Connor une débauche de costumes absolument somptueux où étoffes, formes et couleurs réjouissent merveilleusement l’oeil. L’harmonie parfaite de son travail, comme l’élégance des lumières de Roberto Venturi nuisent malheureusement aux vidéos de Gabriel Grinda qui donnent joliment l’illusion d’un paysage qui défile mais manquent parfois de subtilité : lorsqu’au second acte, la jalousie vient ternir la belle entente des deux couples d’amoureux, le paysage se hérisse de montagnes, métaphore de ce nouvel obstacle à surmonter, pourquoi pas. En revanche, l’harmonie retrouvée est soulignée par un envol de montgolfières d’un goût franchement discutable.
©Alain Hanel
La scénographie propose des solutions aussi brillantes qu’efficaces pour nous éviter de voyager dans un unique wagon : des effets de cubes emboitées, nous permettent de déambuler du quai de gare, au couloir, à la cuisine, au restaurant, au bar, dans l’intimité d’un compartiment de première classe et même sur le toit. Ainsi les surprises se succèdent et le spectateur a la délicieuse sensation de pénétrer chaque fois plus avant dans l’intimité des personnages.
Le choix des espaces est d’autant plus intéressant qu’il n’est pas qu’esthétique et sert le livret. Dans la cuisine, tout en épluchant les patates, Blondchen donne la recette qui met les hommes au pas tandis qu’un tango – danse égalitaire si il en est – enflamme les soubrettes qui l’entourent. Jodie Devos prête son formidable abattage à la sémillante anglaise. Voix ductile, aigus superbes, registres joliment unifiés, coloratures affolantes, elle orne et tourbillonne à étourdir. Le rôle lui sied comme un gant, tout comme la casserole qu’elle renverse sur la tête d’un Sélim, dompté. Pour l’entendre tout à loisir, procurez-vous son dernier cd.
Dieter Kaegi a choisit de centrer sa dramaturgie autour des atermoiements d’une Konstanze qui résiste bien difficilement aux atouts du Pacha. Ce dernier n’a de turc que le nom, il est interprété avec un charme tout germanique par l’excellent comédien Bernhard Bettermann. Konstanze, donc, tergiverse plus volontiers du côté de Feydeau ou Labiche que de celui de Mozart. Il n’est pas question ici de s’en offusquer, les mises en scènes contemporaines nous emportent parfois dans des délires autrement stratosphériques, mais l’on peut tout de même déplorer que ce parti-pris n’affadisse le propos au lieu de l’élever.
La mise en scène assume parfois ses choix avec brio : au moment où la constance risque de fléchir, c’est toute la salle qui change de perspective avec ce wagon qui bascule, se détachant du reste du train. Il n’est plus parallèle mais perpendiculaire à la salle ! Konstance tente alors, en vain, de s’évader par la plate-forme arrière du train. Ce Marten aller Arten est justement le moment où Rebecca Nelsen trouve enfin ses marques après des débuts fragiles où sa voix semblait contrainte, les mediums ternis, les graves appelant plus de corps, la justesse même posant question. Il arrive également que les choix scéniques la desserve notablement : lorsqu’elle hésite entre six beaux mâles en frac, son dilemme est souligné à traits inutilement épais.
La tendresse de Belmonte se trouve pareillement caricaturée lorsqu’elle s’expose aux triviales rencontres nocturnes qu’il fait dans le couloir : triolisme, orgies hétéro et homosexuelles déploient pour lui un large champ des possibles auquel il préfère immanquablement la Constance. Une nouvelle fois, il n’y a pas là de quoi s’offenser, mais l’oeuvre s’en trouve tristement amoindrie, réduite à sa portion congrue, celle d’un vaudeville sans grande profondeur.
Cyrille Dubois campe néanmoins un Belmonte de belle tenue avec cette élégance de l’émission, cette délicatesse du legato dont ne se départi jamais ce spécialiste du Lied et de la mélodie. Heureusement, qui plus est, le vibrato un peu rapide de son premier air cède rapidement la place à l’émotion la plus délicate.
Aux deux amoureux de Konstanze répondent ceux de Blondchen. Le Pedrillo de Brenton Ryan est épatant d’espièglerie, de charme, le timbre est franc, la voix facile, rien à y redire. Albert Pesendorfer, en revanche, convainc plus par sa prestation scénique que vocale. Osmin a parfois le souffle court et manque singulièrement de graves au point qu’ils passent difficilement l’orchestre.
Dans la fosse, certains tempi – notamment l’ouverture – interrogent par leur lenteur ; la justesse des cordes pourrait être améliorée mais sous la baguette de Patrick Davin, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo tout comme le choeur, proposent un travail propre et sérieux.
Sans nous laisser à quai, cet Enlèvement, trop tiré vers le vaudeville, laisse un goût d’inachevé.