On n’était pas sûr de pouvoir assister à ce Voyage dans la Lune à Rouen, la première du 4 novembre ayant été annulée pour cause de grève (pour « dénoncer les salaires très bas des intermittents »). Mais cette matinée est bien maintenue pour notre plus grand plaisir et celui du public qui réserve un triomphe à la troupe aux saluts.
Après Montpellier, Marseille, Nice ou Compiègne, et un enregistrement, la production du Voyage dans la Lune montée sous l’égide de Génération Opéra et du Palazzetto Bru Zane atterrissait en effet ce dimanche à Rouen. Et ses pérégrinations ne sont pas finies, au vu des théâtres ayant co-produit ce spectacle (plus d’une quinzaine en France et en Suisse).
La proposition scénique, sans chercher à retrouver le luxe des spectacles « féériques » de l’époque de la création, parvient, avec des moyens relativement limités (un dispositif tournant en milieu de scène, des projections en fond de scène et un rideau de scène se refermant sur un oculus laissant voir le visage d’Offenbach s’inscrivant dans la lune), à bien caractériser les scènes et nous emporter dans une expédition fantasmagorique.
On reconnaît bien là l’univers baroque de Jean Lecointre à la direction artistique du spectacle, dans les projections d’abord en noir et blanc, classiques et très élégantes, sur la terre puis de plus en plus colorées et surréalistes (voir psychédéliques !) sur la lune au fur et à mesure que l’amour fait des ravages.
© Marc Ginot
La mise en scène d’Olivier Fredj se veut à l’unisson des rythmes endiablés concoctés par Jacques Offenbach, quitte à parfois frôler l’excès d’agitation. Mais ce serait dommage de ne pas profiter d’une troupe d’acteurs chanteurs déchainés, au premier rang desquels Kaëlig Boche, qui avant d’enfiler la tenue et de chanter (fort bien) les couplets de Quipasseparla aura été tour à tour metteur en scène, hôtesse de l’air, caissière… Les costumes signés Malika Chauveau sont cocasses, notamment ceux des femmes sélènes. On comprend ainsi immédiatement que sur la lune, les femmes sont forcément assignées à une catégorie : elles sont soit utiles (donc vouées à faire le ménage – avec Aurélia Legay (Popotte) et son costume Spontex comme digne représentante, qui s’en donne à cœur joie scéniquement malgré une partition vocale réduite à la portion congrue) soit décoratives (avec en femme abat-jour une Jennifer Michel (Flamma) à la projection un peu confidentielle).
On n’oublie pas les danseuses, danseurs et acrobates qui, mélangeant les styles, du hip hop au classique, tantôt amusent tantôt charment dans un ballet des flocons d’une merveilleuse poésie.
© Marc Ginot
On sent un véritable esprit de troupe au sein des chanteurs, même si certains interprètes changent d’une ville à l’autre. On retrouve ainsi les mêmes rois qu’à Compiègne, Matthieu Lécroart en V’lan et Thibaut Desplantes en Cosmos, avec la même réussite, conjuguant solide présence vocale et belle verve comique. Leurs conseillers, le Microscope d’Eric Vignau et le Cactus de Christophe Poncet de Solages sont de parfaits personnages de caractère.
Le prince Caprice a cet après-midi les traits d’Héloïse Mas. Son mezzo long et bien projeté conjugué à une belle énergie s’épanouit dans ce personnage de prince blasé, qui tombe amoureux d’une belle Sélène. Notre bonheur pourrait être parfait n’était une diction peu intelligible. Son timbre se marie à ravir avec le soprano léger de Sheva Tehoval (Fantasia). Vocalement c’est elle qui a la partition la plus exigeante mais aussi la plus payante ! Au-delà d’une belle maîtrise technique (vocalises parfaitement en place, trilles) elle séduit par son soin à habiter la moindre de ses vocalises, évoquant par moments le souvenir d’une certaine Natalie Dessay.
Chloé Dufresne, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie qui prend un plaisir audible à ce répertoire, retranscrit avec verve les divers affects de la partition, les valses et autres polkas entraînantes comme les passages plus rêveurs. On applaudit enfin le Chœur accentus /Opéra de Rouen Normandie dirigé par Christophe Grapperon, impeccable comme toujours.