Cinquante ans déjà que la troupe d’amateurs Les Tréteaux lyriques s’attaque au grand répertoire dit léger, notamment d’Offenbach. Jamais le mot « amateurs » n’a mieux été utilisé dans le sens de « ceux qui aiment », car tous se donnent à fond dans ces opérations périlleuses, et le résultat est tout simplement bluffant. Il convient néanmoins de nuancer le propos en soulignant que, d’une part, l’encadrement (mise en scène, décors et costumes, orchestre et direction d’orchestre) est professionnel et d’une solidité sans faille, et que d’autre part les chanteurs qui assument les rôles principaux sont amateurs dans le sens où cette activité ne constitue pas leur source de revenus, mais ont tous fait de solides études musicales, vocales et théâtrales et sont titulaires, pour la plupart, d’un CFEM.
La mise en scène de ce Voyage dans la lune par Rémi Préchac est confondante de vivacité et d’inventivité, il n’y a pas un temps mort, chacun sait exactement ce qu’il a à faire et pourquoi. Les mouvements et la gestuelle des choristes et figurants sont étonnants, mêlant la technique théâtrale à la danse. Il utilise parfaitement le grand plateau du Casino de Paris où se sont illustrés tant de meneuses de revues exceptionnelles, auxquelles ce spectacle est comme un clin d’œil. L’utilisation de projecteurs de haute technicité permet de compléter le décor astucieux de Christophe Auzolles en créant des atmosphères « lunaires » et féériques fort appropriées, permettant d’éviter un réalisme approximatif, notamment pour le quatrième acte. Enfin, les costumes de Janie Loriault sont d’une drôlerie et d’une efficacité totales, et l’on est frappé par leur finition dans les détails, digne des plus grandes scènes.
© Photo Tréteaux Lyriques / Gilles Pagnol
Musicalement, on retrouve avec plaisir Laurent Goossaert et son orchestre Ad Lib., dans une formation allégée, mais d’une parfaite efficacité. Tempi, balancement, nuances et style sont on ne peut plus offenbachiens, et surtout en parfait équilibre avec le plateau. Et le chef sait établir une connivence aussi bien avec les chanteurs qu’avec le public, qu’il fait participer à l’ouverture façon concert viennois du nouvel an. Reste la question de l’adaptation, dans la mesure où il est quasiment impossible aujourd’hui de donner cette œuvre dans une version intégrale conforme à la création (673 costumes en 1875 !). Ici, la partition est globalement respectée, sauf quelques manques dont le ballet des flocons de neige et les airs additionnels de Popotte, et l’assimilation du rôle de Quipasseparla avec celui de Caprice. Les textes parlés sont simplement parfois raccourcis mais non détournés et font bien rire ainsi. Seules concessions au monde d’aujourd’hui, le téléphone portable utilisé par Microscope pour communiquer avec sa maîtresse restée sur la Terre, et les banderoles « promotions », « soldes » et « prix fous » du marché aux femmes qui, paradoxalement, font beaucoup rire les dames dans la salle.
« Il nous faut de l’amour, nous voulons de l’amour ! » chante la belle Hélène. Le propos est ici fort proche, mais faisant référence à la pomme, le fruit défendu du « péché originel », et les interprètes font bien passer le message, avec humour et gentillesse. Le prince Caprice, contrairement à la création où le rôle, travesti, était tenu par Zulma Bouffar, a été confié à David Faggionato qui a énormément progressé en technique vocale depuis sa déjà belle prestation dans La Princesse de Trébizonde en 2009. Sa voix n’est pas immense, mais il sait très bien s’en servir, notamment dans les romances en demi-teinte. Il campe un prince Caprice amusant et dynamique faisant penser à une rock star (Mick Jagger). A ses côtés, Estelle Gombaud est une princesse Fantasia épatante, à la voix ravissante, à la jolie technique et à la plastique itou. On connait bien les autres piliers de la troupe, qui font également merveille, Jean-Philippe Monnatte en roi Vlan autoritaire à la voix sonore et percutante, avec une articulation parfaite (ce qui peut d’ailleurs être dit de toute la troupe), Jean-Philippe Alosi en Microscope, désopilant, parfois lunaire façon Harry Langdon, mais gardant aussi les pieds sur terre, si l’on peut dire, Rémy Buclin en roi Cosmos énorme pour ne pas dire ubuesque comme son costume l’évoque, encombré d’une reine Popotte vêtue d’une robe extraordinaire, et digne de la Bonemine des aventures d’Astérix, jouée avec autorité et humour par Katell Martin. Evelyne Hellgouarc’h, qui chante également à ravir, complète la distribution avec Marc Chapel et Frédéric Thiriez, sans oublier les chœurs et tout particulièrement les gardes de la fille du roi. On passe grâce aux Tréteaux Lyriques un grand moment jubilatoire, bien rare aujourd’hui, c’est un spectacle à ne pas manquer, d’autant plus que les bénéfices en sont versés à des associations caritatives.
Prochaines représentations les 19, 20 et 21 janvier 2018.