Copie quasi parfaite à la Halle aux Grains de Toulouse pour l’entrée au répertoire de Le Villi, premier opéra de Puccini. La seule chose qui nous ait manqué, pour le dire une fois pour toutes, c’est que l’œuvre ne soit pas donnée sous sa forme originelle, soit celle de l’opera ballo (opéra-ballet). Du coup, les longues séquences orchestrales censées accompagner les épisodes de danse, dont le ballet des Willis, ces fameuses créatures fantastiques (qui donnent leur nom à l’ouvrage), venues venger l’amour trahi, déséquilibrent quelque peu l’architecture d’ensemble. L’ouvrage n’étant donné qu’une seule fois, le parti a été pris de proposer l’œuvre en version mise en espace, ce qui se comprend aisément.
C’est en fait à une quasi mise en scène (le ballet en moins donc) que nous convie Marie Lambert-Le Bihan et c’est la première réussite de la soirée. Elle nous propose une occupation intelligente de tout l’espace circulaire de la Halle aux Grains, qui est une sorte de « Philharmonie » toulousaine. Ainsi les trois protagonistes de l’ouvrage occupent-ils savamment non seulement le devant de la scène, juste devant l’orchestre, mais aussi l’espace tout autour de celui-ci. Les entrées et sorties se font de trois côtés différents. Occupation intelligente aussi de l’espace temporel. A défaut de ballet, nous l’avons dit, les trois personnages réapparaissent, dans les longues plages orchestrales, en déambulation tout autour de la salle. Moins réussis toutefois les éclairages, avec quelques séquences de spots façon boîte de nuit, qui ne sont certainement pas indispensables.
© Patrice Nin
Mais l’essentiel est ailleurs. Nous retrouvons Speranza Scappucci qui nous avait bien convaincu dans la direction de son Così fan tutte toulousain en 2020. Depuis, beaucoup de belles choses se sont passées pour la maestra romaine. Le mois dernier, en remplaçant Evelino Pidò souffrant, elle est devenue la première femme à diriger l’orchestre du Teatro alla Scala de Milan. Plus encore que Mozart, il nous a semblé que Puccini correspondait parfaitement à son tempérament musical. Une fois le prélude passé, quelque peu retenu, elle trouve le tempo juste qu’elle tient jusqu’au bout. Elle emporte l’orchestre sans ménagement (il n’y a pas de pause entre les deux actes), d’une battue précise, ciselée. C’est un plaisir de la voir faire corps avec la partition, sautiller sur l’estrade, avec toujours le geste précis. Il y a comme une saine urgence dans sa direction, une fascination qu’elle exerce sur chacun des pupitres. Louons une fois encore les vertus musicales de la phalange toulousaine ; les quelques 75 musiciens rendent une copie très solide, parfois tonitruante, lorsque, surtout au début du I, l’orchestre a tendance à couvrir les voix (l’absence de fosse se fait sentir dans ces moments-là).
Il y a trois personnages seulement dans Le Villi, opéra assez bref (75 minutes) et à l’histoire simplissime ; Anna, fille de Guglielmo, est fiancée à Roberto qui doit la quitter quelque temps afin de prendre possession d’un héritage. Anna a un mauvais pressentiment et, de fait, Roberto se laisse séduire par une « sirène » qui lui fait oublier Anna ; celle-ci meurt de chagrin. Quand Roberto rentre au pays, il est confronté au fantôme de sa fiancée ainsi qu’aux Willis qui l’entraînent lui aussi dans la mort. La version de l’ouvrage (au départ une partition de concours) qui est du reste trop rarement donnée aujourd’hui, est celle que Puccini a revisitée en 1884 en l’étoffant de quelques numéros dont la fameuse grande scène du ténor au I.
La partie de Guglielmo est assez brève ; nous avons plaisir à y retrouver Alexandre Duhamel, récemment Escamillo toulousain. Le grave est toujours aussi barytonnant et chantant, et on le sent plus à l’aise dans le bas de la portée que dans le haut. Anna est Joyce El-Khoury. Présence incontestable sur le plateau, elle séduit au départ davantage par les médiums que les aigus, mais libère la voix au cours du duo ( « Tu dall’infanzia mia ») en fin de premier acte ; nous sont alors données d’entendre la justesse du chant, mais aussi les belles nuances apportées et, ce qui n’est pas rien, la puissance qui se révèle définitivement au II.
Dans la version revisitée de l’œuvre, l’apport majeur est la grande scène de Roberto au premier acte (« Torna ai felici di »). Le Roberto de Luciano Ganci y brille de mille feux ; il nous laisse entrevoir les qualités que nous retrouverons décuplées au II ; une ligne de chant bien conduite et décidément envoutante, un aigu facile et une projection impressionnante. Ce chanteur est pour nous une belle découverte. On l’entend aujourd’hui essentiellement en Italie. S’il conduit bien sa carrière, celle-ci pourrait l’amener à élargir son horizon.
Nous ne voudrions pas omettre le chœur du Capitole ; bien que tous masqués, les choristes, sous la houlette de Patrick Marie Aubert, qui met ainsi fin à son aventure à la tête des chœurs de Toulouse, ont répondu présents à la baguette de Speranza Scappucci. Rythme, diction, entrain, tout cela était en place.