C’est un programme remarquablement construit que nous a proposé Joyce DiDonato pour son retour sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées. Un programme éclectique, qui couvre trois siècles de musique, illustré par des compositeurs italiens, français, anglais et allemands, avec pour point commun la ville de Venise qui, comme le précise la cantatrice au cours du concert, a inspiré d’innombrables artistes de tous horizons à travers les siècles.
À tout seigneur tout honneur, la soirée débute avec Vivaldi, le plus célèbre des compositeurs vénitiens. Très élégante dans une somptueuse robe rouge, la mezzo-soprano américaine interprète deux extraits de l’opéra Ercole sul Termodonte avec un chic irrésistible, un timbre lumineux et un art consommé de l’ornementation qui fait merveille dans le célèbre « Onde chiare che sussurate ».
Avec son délicieux petit accent, Joyce DiDonato dira ensuite son bonheur d’être de retour en France et sa joie de retrouver le public parisien, avant d’aborder les Cinq mélodies de Venise de Fauré. « Green » met en valeur son impeccable legato, « À Clymène » sa capacité a varier les coloris tandis que « C’est l’extase » lui permet de distiller une émotion contenue, teintée de nostalgie. Tout au long du cycle, la cantatrice fait de louables efforts pour soigner sa diction, qui demeure acceptable, sans parvenir tout à fait à rendre pleinement intelligibles, les vers de Verlaine. Son interprétation délicate et nuancée emporte toutefois l’adhésion.
La première partie du concert s’achève avec l’un des conpositeurs fétiches de Joyce DiDonato : chez Rossini, la mezzo-soprano se sent chez elle, aussi ne fait-elle qu’une bouchée de La Regata veneziana, qu’elle chante avec un aplomb, une truculence et une santé vocale à toute épreuve, pour le plus grand bonheur du public qui ne ménage pas ses bravos.
Après l’entracte, en revanche, vêtue cette fois d’une robe bariolée aux couleurs vives, la cantatrice s’aventure dans un univers qui ne lui est guère familier, celui du Lied allemand. Soutenue efficacement par son pianiste, elle parvient à tirer son épingle du jeu : son Schubert, ses deux Schumann, nimbés de clair-obscur, s’avèrent pleinement convaincants.
Viennent ensuite trois mélodies de Michael Head, dédiées à Janet Baker qui les créa en 1977. Ces pièces magnifiques constituent une belle découverte : « The Gondolier » baigne dans une atmosphère étrange et un peu mystérieuse, avec un rythme alangui qui est interrompu par les appels du gondolier, « Ohé, ohé, ohé » que la cantatrice restitue en créant un effet d’écho. « St Mark’s square » évoque, sur un tempo plus agité, le grouillement des pigeons et des passants sur la célèbre place, enfin « Rainstorm » dépeint un orage d’automne sur une Venise désertée par les touristes. Joyce DiDonato cisèle ces trois petit bijoux avec un raffinement et une sensibilité rares.
Le programme s’achève avec Venezia, un cycle de cinq mélodies en dialecte vénitien de Reynaldo Hahn dans lequel la mezzo-soprano déploie une riche palette de coloris et d’affects, alternant avec bonheur la douce mélancolie de « Sopra l’acque indormenzada », la troublante sensualité de « L’avertimento » et l’humour irrésistible de « Che pecà ! ».
Au piano, David Zobel se révèle un partenaire de haute volée, capable de passer avec brio d’un style musical à l’autre, aussi à l’aise dans l’exubérance de Rossini que dans la subtile intériorité de Fauré. Son accompagnement des mélodies de Head est particulièrement remarquable.
En bis, Joyce DiDonato donne un avant-goût de son prochain album avec un bouleversant « Sposa son disprezzata » extrait du Bajazet de Vivaldi avant de se lancer, à la demande d’un spectateur, dans un ébouriffant rondo de La Cenerentola, agrémenté de variations inédites qu’elle éxécute avec une précision redoutable et une joie de chanter communicative. Enfin, avant de se retirer sous les appaudissements d’une salle conquise, elle propose une chanson « de son pays », le fameux « Over the rainbow » dans une interprétation sobre et touchante.