On ne peut décidément plus accuser Nicolas Joël d’anti-mortiérisme primaire, comme nous l’avions sottement fait il y a quelques années. Au contraire, tout tend à prouver que les deux hommes sont à présent les meilleurs amis du monde, unis par une relation quasi télépathique. La preuve, pendant que Gérard Mortier programme à Madrid Brokeback Mountain, l’opéra qu’il a commandé au compositeur américain Charles Wuorinen, le directeur de l’Opéra de Paris a voulu lui aussi avoir ses cow-boys gays, mais à sa manière. Tandis que le Teatro Réal fait dans l’émotion sobre, Bastille donne dans la cocasserie kitschouille avec cette production de La Fanciulla del West créée à Amsterdam en 2009 et popularisée par le DVD. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il a été prévu de nous offrir le bar cuir du premier acte, la caravane rose bonbon du deuxième et le cimetière de voitures du troisième. Bien sûr, on pourrait dire que ce n’est là que l’enveloppe visuelle, même si elle colle parfois assez mal avec le texte (tous ces messieurs rêvent-ils vraiment d’épouser la barmaid ?) et l’on pourrait accepter ce festival de pantalons, chaps, bottes, gilets et manteaux de cuir, cette chambre de Barbie avec son Bisounours en peluche et ses deux bambis posés dans le neige : de fait, les deux premiers actes sont accueillis sans broncher par un public apparemment moins goguenard qu’à la générale (voir la brève de Sylvain Fort). La direction d’acteurs de Nikolaus Lehnhoff est suffisamment détaillée pour retenir l’intérêt mais, contre toute attente, c’est au dernier acte que les mécontents se manifestent : premières huées pour l’entassement d’épaves de limousines, pourtant plutôt moins ridicule que les décors précédents, et ricanements quand on bascule en effet dans le joyeux n’importe quoi. Alors qu’elle était d’abord apparue habillée presque comme Emmy Destinn à la création en 1910 (manteau de cuir rouge en plus), Minnie surgit cette fois métamorphosée en vamp pailletée et descend un grand escalier lumineux, cependant que derrière elle, le lion de la MGM rugit en boucle. Après s’être balancé comme Tarzan au bout de la corde où l’on devait le pendre, Dick Johnson reviendra lui aussi en smoking pour remonter avec elle ledit escalier sous une pluie de dollars. Est-ce à cause de ce happy end exceptionnel chez Puccini que la mise en scène a décidé de ne pas prendre au sérieux la conclusion de l’œuvre ? Ne serait-ce donc qu’une mascarade hollywoodienne, et rien d’autre ? Mais il y a quinze ans, dans sa production anversoise, Robert Carsen avait su jouer d’une bien plus fine manière sur les codes du Western, sans céder à la facilité du ricanement.
Heureusement, sur le plan musical, la réussite est au rendez-vous, y compris là où l’on s’y attendait le moins. En Nina Stemme on savait trouver une Minnie-Brünnhilde, une pucelle héroïque capable de surmonter le tohu-bohu orchestral auquel Puccini se livre parfois. On n’est pas déçu : la voix n’a rien de bien italien, elle darde des aigus à la Birgit Nilsson, et impose une présence irrésistible. Les agréables surprises viennent de ses deux partenaires. On connaissait Marco Berti puccinien assez fruste, mais par chance Dick Johnson alias Ramerrez n’est ni un poète romantique ni un amoureux délicat. On voudrait plus de moelleux, plus de séduction pour rendre plus crédible son idylle avec Minnie, mais il assure la quantité de décibels nécessaire et surtout, sait trouver des accents plus tendres pour « Ch’ella mi creda libero e lontano ». De Claudio Sgura on gardait un assez mauvais souvenir de ses débuts à Bastille, avec un Barnaba parfaitement inconsistant dans La Gioconda. Le shérif déçu lui convient peut-être mieux que le conspirateur fielleux, toujours est-il que son incarnation est cette fois bien plus convaincante. Jack Rance pourrait avoir plus de poids vocal, plus de liant dans son chant, mais le timbre a la noirceur requise et la mise en scène l’aide à composer un vrai troisième sommet du triangle. Autour d’eux, tous les rôles secondaires ont été fort bien choisis : le Sonora d’André Heyboer, le Nick de Roman Sadnik ou l’Ashby d’Andrea Mastroni. Alexandre Duhamel fait valoir un beau timbre de baryton dans la ballade de Jack Wallace, et tous les comparses parviennent à caractériser leur personnage. Chapeau (Stetson ?) aussi à tous les membres du ch Normal 0 21 false false false FR X-NONE X-NONE MicrosoftInternetExplorer4 œur, ici exclusivement masculin.
Au salut final, de copieuses huées sont adressées à l’équipe de production, mais curieusement, Carlo Rizzi en reçoit une bonne dose. Sa direction sans lourdeur sait pourtant faire surgir de la partition tel trait qu’on croirait emprunté à Debussy, telle atmosphère quasi wagnérienne, et en refusant de s’alanguir, elle vient en aide à certains chanteurs qui seraient en peine de soutenir un rythme moins rapide. Enfin, voici encore un spectacle de l’Opéra de Paris cette saison qui se termine par des huées. Quand on vous disait que désormais, Gérard Mortier et Nicolas Joël peuvent se donner la main…