Oui, tout est bien qui finit bien pour le Festival du Palazzetto Bru Zane à Paris, qui avait choisi de cloturer ces six journées de concerts par l’interprétation d’un opéra-comique de Félicien David, Le Saphir. On sait que ce compositeur français a été mis à l’honneur depuis quelques mois par le Centre de musique romantique française, avec Herculanum à Versailles, Moïse à Clermont-Ferrand et Le Désert à la Cité de la musique. En réalité, tout n’est pas fini pour Félicien David, puisque le feu d’artifice connaîtra un bouquet final à la Côté Saint-André en août, avec la recréation de son Christophe Colomb, mais nous en reparlerons. Non, si « tout est bien qui finit bien », c’est aussi parce que Le Saphir, comme quantité d’œuvres lyriques du XIXe siècle, est tiré d’une pièce de Shakespeare, All’s Well That Ends Well, une de ces comédies qu’on ne joue à peu près jamais en France, comme l’était Beaucoup de bruit pour rien avant que le cinéma s’y intéresse. Evidemment, il ne reste à l’arrivée plus grand-chose de Shakespeare, tous les personnages retenus (sept sur une vingtaine) ont changé de nom et de position, sauf le capitaine Parole. Malgré tout, il en résulte un livret assez bien ficelé, avec des personnages moins fades et moins conventionnels que ce n’est souvent le cas dans un genre destiné à un public familial et bourgeois. Les femmes ici savent ce qu’elles veulent et prennent leur destin en main, les hommes étant plutôt les dindons de la farce. Et sur cette intrigue, Félicien David a conçu une musique d’un intérêt égal, sinon supérieur à celle de son Lalla-Roukh au livret assez mièvre, avec de bien beaux duos, trios et ensembles, notamment le quatuor très développé du deuxième acte et son irrésistible répétition des paroles « Charmante aventure ».
Hélas, la partition d’orchestre du Saphir est perdue, et plutôt que de proposer un concert piano-chant, Alexandre Dratwicki a préféré, avec la collaboration de son frère, réaliser une transcription pour neuf instruments. Ce n’est pas la première fois que le Palazzetto fait ce choix, et il est ici beaucoup plus facile à accepter que pour Le Paradis perdu de Théodore Dubois, où la réduction de la partition modifiait sensiblement le caractère de l’œuvre. Ici, on accepte sans se poser de questions cette version aux couleurs fruitées, que font fort bien vivre les Solistes du Cercle de l’Harmonie dirigés par Julien Chauvin. Quant aux chanteurs, le Palazzetto peut désormais compter sur une solide équipe de brillantes recrues, et s’offrir ainsi le luxe de confier même de petits rôles à des artistes de premier plan. Julien Véronèse n’a pas un seul morceau pour lui seul – on lui a coupé l’air « Amis, je vous le conseille », du premier acte – et sa prestation se borne aux ensembles, mais voilà pourtant un baryton qui excelle dans les rôles comiques (pas seulement, Herculanum nous l’a prouvé) et qui laisse espérer de belles recréations de tout un répertoire où s’illustra jadis un Lucien Fugère. Marie Kalinine est une Carmen, une Charlotte, mais elle se contente ici de deux petits rôles, dont l’un n’était à l’origine pas même conçu pour une voix de (mezzo)soprano, mais pour une « duègne ». Marie Lenormand est très drôle dans les interventions parlées du page Olivier, et parfaitement à sa place dans les ensembles. En Fiammetta, Katia Velletaz dissipe toutes les réserves que l’on avait pu émettre sur ses prestations dans la musique du XVIIIe siècle : soit l’opéra-comique du XIXe lui convient à merveille, soit le disque ne rend pas justice à sa voix, toujours est-il que son interprétation n’appelle ici aucun reproche. Gabrielle Philiponet ne cesse de nous étonner depuis son prix au concours Reine Elisabeth 2008 : la voix continue de s’étoffer dans le médium, et l’on s’en réjouit, mais l’aigu pourrait peut-être gagner parfois en douceur. Cyrille Dubois, enfin, reste un bonheur à entendre à chaque nouvelle occasion d’apprécier son talent : nuances admirables, incarnation réelle, on a hâte de le retrouver bientôt. Et maintenant qu’il n’est plus permis de douter de l’art de Félicien David, avis aux maisons d’opéra : même si tout est bien qui finit bien pour le festival du Palazzetto à Paris, l’aventure David est loin d’être finie, il faut monter La Perle du Brésil, pour que nous en connaissions enfin autre chose que l’air du Misoli cher à toutes les coloratures.