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Moscou, Quartier des Cerises — Lyon

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Spectacle
22 décembre 2009
Le printemps en hiver

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Moscou, Quartier des Cerises (Chostakovitch, Karabits – Lyon)

Dimitri Chostakovitch (1906-1975)

 

Moscou, Quartier des Cerises (Tcheriomouchky)

Comédie musicale en 3 actes

Livret de Vladimir Mass § Mikhaïl Tchervinsky

Créé au Théâtre d’Opérette de Moscou le 24 janvier 1959

Reprise de la production de l’Opéra de Lyon (création scénique en France, 2004)

 

 

  

Mise en scène, Macha Makeïeff, Jérôme Deschamps

Chorégraphie, Anne Martin

Adaptation des dialogues, décors et costumes, Macha Makeïeff

Dramaturgie et traduction, Macha Zonina

Scénographie, Cécile Degos

Lumières, Dominique Bruguière

Roman Burdenko, Boubentsov

Christina Daletska, Macha

Gennady Bezzubenkov, Babourov

Elena Semenova, Lidotchka

Nabil Suliman, Boris

Andrey Ilyushnikov, Sergueï

Elena Galitskaya, Lioussa

Mikael Babajanyan, Debredniov

Maria Gortsevskaya, Vava

Alexander Gerasimov, Barabachkine

Marie-Christine Orry, Comédienne

Robert Horn, Comédien, ténor

 

Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon

Chef des Chœurs, Alan Woodbridge

 

Direction musicale, Kirill Karabits

 

Lyon, 22 décembre 2009

 

 

Le printemps en hiver

Composée durant la période khrouchtchévienne dite « du dégel », Moscou, Quartier des Cerises appartient au genre hybride de l’opérette soviétique qui avait fait son apparition dans les années trente et connut un succès ininterrompu jusqu’à la fin des années soixante-dix. Lointaine parente de l’opérette viennoise, matinée de comédie musicale à la Broadway, l’opérette soviétique restait profondément ancrée dans le passé avec ses mélodies typiquement russes et ses chants populaires traditionnels si émouvants, soigneusement récupérés par le régime soviétique sous le nom de « chansons de masse ». Sorte de rêve multicolore et sentimental en musique, elle détournait les esprits de la grisaille quotidienne ; pour un moment bref mais précieux, on y retrouvait l’espoir du changement et la joie de vivre. On y riait beaucoup aussi car depuis l’arrivée de Khrouchtchev, la satire sociale était admise comme dérivatif populaire tout en restant solidement encadrée. Très prisés du public moscovite, les librettistes de Moscou, Quartier des Cerises, Vladimir Mass et Mikhaïl Tchervinski, étaient bien vus du régime. Stars de l’époque, ils écrivaient à tour de bras pour la radio, les magazines comiques et les spectacles musicaux. Leur livret, satirique, spirituel, sentimental à souhait, où rêve et réalité se confondent, donna à Dimitri Chostakovitch l’occasion d’exercer librement sa verve et son esprit critique. Il prit grand plaisir à jouer le jeu, respectant les lois du genre : les airs et la musique dansée devaient être faciles à mémoriser.

 

Au début des années cinquante, les moscovites souffraient d’un mal qui n’épargnait que les riches parvenus et les apparatchiks : la crise du logement. Les appartements du centre ville avaient été divisés en petites parcelles où devaient s’entasser des gens qui ne se connaissaient pas. Khrouchtchev décida de mettre un terme à cette situation et les nouveaux quartiers fleurirent autour de la vieille cité. La délocalisation est au centre de l’action de Moscou, Quartier des Cerises1.

 

La production de Lyon est totalement convaincante. Macha Makeïeff2, co-metteur en scène avec Jérôme Deschamps, décoratrice, costumière, adaptatrice des dialogues, a su faire revivre l’âme soviétique populaire et nous faire rêver à travers elle. Les dialogues français, prononcés avec l’accent slave et surtitrés, nous ont presque donné l’illusion que nous entendions du russe et que nous le comprenions. Dans cette interprétation, aucun réalisme psychologique, tout est vu à travers la sensibilité des différents personnages et le merveilleux surgit à tout moment, souligné par les beaux éclairages de Dominique Bruguière. L’ensemble est soutenu et nourri par l’orchestre, dirigé de main de maître par le chef russe Kirill Karabits.

L’essentiel de l’action3 se déroule au Quartier des Cerises dont le décor est particulièrement réussi. On y voit un pimpant immeuble à trois étages dont tous les balcons sont décorés de façon personnalisée. Cela permet toutes sortes d’actions simultanées très pittoresques. L’immeuble officiel, plus austère, s’élève perpendiculairement à cour où il perd son caractère menaçant. Il affiche en lettres démesurées l’inscription « URSS » dont la première lettre finira par s’écrouler grâce au jardin magique. Les costumes des locataires, aux couleurs fraîches de printemps, rendent plus sinistre encore l’unique uniforme soviétique, porté par la gardienne du musée qui est aussi gardienne de l’immeuble. Merveilleusement incarné par la comédienne Marie-Christine Orry, ce personnage loufoque et désopilant est une satire de l’administration soviétique en train de se dérégler, il participe à toute l’action.

Dans ce cadre de gaîté évoluent des personnages pétillants de jeunesse, spirituels, attendrissants ou ridicules, les méchants ne sont pas vraiment méchants, ils acceptent avec bonne humeur leurs échecs et récupèrent les situations perdues. Avec eux, nous découvrons la sombre vie des soviétiques éclairée par « le rayon de lune de l’amour » et un solide sens de l’humour. Les inventions fusent de toute part et l’on s’amuse follement. Certes, les interprètes (russes à deux exceptions près4) ne sont pas des danseurs comme à Broadway ou au théâtre d’opérette de Moscou, mais ils bougent bien. Leur enthousiasme et une chorégraphie très simple mais efficace d’Anne Martin fait aussi bien l’affaire. Quatre personnages fantaisistes et lunaires incarnés par des danseurs forment un contrepoint poétique aux actions principales.

Il faudrait s’attarder sur chacune des trente-neuf scènes pour rendre vraiment justice à la production qui ne connaît aucun temps mort. Ainsi, la promenade en voiture est figurée par une rangée de gens assis sur des fauteuils sur roulettes qui forment ensuite des figures géométriques variées. La chorégraphie se limite à des jeux de jambes et de pieds qui marquent le rythme sur place ou font avancer ou reculer les fauteuils : l’effet est irrésistible. Autre scène qui fait rire aux éclats : les Boubentsov5, mariés depuis six mois mais qui vivaient séparément faute de logement commun, viennent d’être relogés aux Cerises et savourent le plaisir d’avoir enfin un chez soi. La sonnette retentit sans arrêt mais habitués à l’entendre sonner pour les autres, les jeunes mariés enfin réunis ne comprennent pas que c’est chez eux qu’on sonne, ils évoquent des souvenirs liés au son de la sonnette en un duo désopilant, d’autant plus que nous, les spectateurs, voyons les voisins s’entasser progressivement devant leur porte, attendant qu’elle s’ouvre enfin. Pour finir, tout le monde entre avec vivres et boissons, une fête commence et on se met à danser. Juste au dessous, dans le bureau du gérant au rez-de-chaussée, le plafond commence à s’ébouler, ce qui déclenche chez la gardienne une crise d’hystérie inénarrable. Autre moment particulièrement réussi, d’intense poésie : à l’acte III, deux personnages ailés dansent un pas de deux dans la brume du jardin magique tout en se disputant la préséance, ce qui déchaîne les rires, le tout sur une ravissante musique de ballet qui parodie affectueusement Le Lac des Cygnes.

 

La distribution, totalement investie, sert on ne peut mieux le petit chef d’œuvre de Chostakovitch. Si nous faisions un palmarès, nous placerions en tête Gennady Bezzubenkov, basse profonde au timbre de velours, à la large palette de nuances, excellent en Babourov. En fin de liste viendraient le ténor Roman Bourdenko (Boubentsov) dont le parlando manque un peu d’homogénéité et qui ne donne sa mesure que dans son dernier air, puis la mezzo Christina Daletska (Macha) dont le timbre un peu métallique gagnerait à s’épurer, leur performance restant malgré tout très honorable. Et au milieu, à égale hauteur, on situerait tous les autres interprètes, aussi brillants les uns que les autres. Il ne reste plus qu’à souhaiter que cette remarquable production circule et fasse le bonheur de nombreux autres spectateurs.

Elisabeth BOUILLON

 

1 En russe : Tcheriomouchky. Cette résidence expérimentale (le neuvième quartier résidentiel de Moscou), fut conçue selon de nouvelles normes avec des immeubles de trois étages séparés les uns des autres par des espaces verts et devint le symbole de la modernité, au point que le nom propre devint un nom commun.

2 Née en France, Macha Makeïeff a des ascendances russes et italiennes.

3 Voici l’essentiel de l’action : Au premier acte, nous faisons connaissance avec la plupart des futurs locataires du Quartier des Cerises et nous assistons à la visite hautement comique du musée historique de Moscou, où il n’y a presque rien à voir. Suit une promenade en voiture à travers Moscou. Au deuxième acte, la scène est au Quartier des Cerises où les nouveaux locataires font la queue pour retirer leurs clefs afin d’emménager. Le gérant Barabachkine (nom d’un mauvais génie dans la tradition russe) les distribue au compte goutte, le temps de faire disparaître de la liste, moyennant un pot de vin, l’appartement attribué aux Babourov. En effet l’apparatchik véreux et tout puissant Drebedniov souhaite l’adjoindre à celui de sa quatrième épouse, Vava. Peu à peu, chacun récupère ses clefs, à l’exception des Babourov. A l’acte III, une jeune ouvrière employée au Quartier des Cerises, Lioussa, solidaire des Babourov, pousse les autres locataires à la révolte. Celle-ci prendra la forme douce : un jardin enchanté créé de toute pièce par les habitants, dans lequel les méchants, assis sur le banc de vérité, révèleront la noirceur de leur âme, et les jeunes gens leurs amours réciproques. Tout finira pour le mieux. Un conte slave s’il en est !

4 Nabil Suliman et Mikael Babajanyan

5 Leur nom, Boubentsov, signifie « grelot ».

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