Burlesque et invraisemblable, ce Postillon de Lonjumeau se déploie sur scène comme ces livres animés dont les pages surgissent en trois dimensions.
Michel Fau et son équipe artistique se sont lâchés pour créer un univers fantasmé dans une explosion de couleurs bigarrées. L’élégance hardie des costumes de Christian Lacroix se noie dans une débauche d’images naïves, numérisées ou peintes. À noter, la mise en place des décors d’Emmanuel Charles et le remarquable travail sur les lumières de Joël Fabing assurant des transitions douces et franches entre les tableaux successifs qui font avancer l’action.
Contée sur le ton d’une comédie moliéresque, l’intrigue de cet opéra-comique repose sur une étude psychologique plutôt fine. Le jour de leurs noces, un couple commence à se disputer. Tandis que le mari est désolé de devoir enterrer sa joyeuse vie de garçon, sa jeune femme lui reproche, elle, d’avoir dû renoncer à un immense héritage pour l’épouser. Mais voilà qu’à la recherche de grandes voix lyriques, un marquis au service du roi Louis XV découvre par hasard que le postillon qu’il a réquisitionné inopinément à Lonjumeau est doué d’une exceptionnelle tessiture de ténor. Sensible à l’appât du gain et aux sirènes de la célébrité, ce postillon finit par suivre le marquis persuasif bien qu’il doive renoncer à son mariage avant même sa nuit de noces. Désespérée, la jeune mariée décide de se venger en utilisant son héritage. Et, dix ans plus tard, elle retrouve celui qui l’a abandonnée. Voilà que devenu un chanteur adulé, il est soudain ému par l’irrésistible ressemblance entre son amour d’autrefois et cette femme si riche et si belle. Ainsi se fera-t-elle épouser une seconde fois au grand dam du puissant marquis qui la courtise maintenant en vain, après avoir ouvert à son bien-aimé les portes de la gloire. Suivront bien sûr : accusation de bigamie, imbroglio, puis happy-end.
Quelques mois après l’exhumation de l’œuvre salle Favart où les attentes des connaisseurs étaient immenses – non seulement sur l’ivresse de la performance vocale de Michael Spyres, mais aussi sur la qualité du flacon – le public rouennais semble l’avoir simplement accueillie comme un spectacle festif à l’approche de Noël.
Musicalement, la partition d’Adolphe Adam est remarquablement orchestrée ; les harmonies sont délicates et les mélodies variées. L’écriture vocale est confortable pour les chanteurs qui doivent alterner le parlé et le chanté avec naturel. Sébastien Rouland, violoniste de formation, dirige fermement l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie composé de musiciens solistes et chambristes qui s’expriment avec brio, surtout dans les parties purement instrumentales. Nous avons noté parfois une tendance à couvrir les voix, en particulier quand les chanteurs se trouvaient au dessus des instrumentistes. Un défaut d’acoustique probablement inhérent à certaines places situées sous le balcon. Fréquemment sollicités, les chœurs Accentus et Opéra de Rouen se montrent à la hauteur de leurs interventions.
© Jean Pouget
Au ténor Philippe Talbot, très applaudi dans Le Comte Ory en 2017, incombe la lourde charge du rôle titre. L’agilité de ses moyens vocaux lui permet de démontrer avec finesse l’évolution entre la voix naturelle prometteuse de Chapelou et la virtuosité exhibée par Saint-Phar dans son air brillant du troisième acte, avec contre-ut et contre-ré en cascade.
Le meilleur chanteur-acteur de cette distribution est l’excellent Lionel Peintre qui tire les ficelles de l’intrigue en interprétant le Marquis de Corcy. Chacune de ses apparitions vitaminées réjouit. Tous les autres rôles masculins méritent des compliments.
Sans rivale côté féminin, la jeune soprano Hélène Carpentier, lauréate du concours « Voix Nouvelles 2018 », incarne Madeleine puis Madame de Latour. La fraîcheur de son chant et l’intelligence sensible de son interprétation charment l’auditoire autant que ses partenaires. C’est une cantatrice à suivre.