Quand Eva Kleinitz communiqua le programme de sa première saison à la tête de l’Opéra du Rhin, l’une des innovations qu’elle proposait était un festival consacré à un pays, avec toute une série de manifestations (concerts, expositions…) en relation avec le spectacle lyrique principal. Et l’on avait noté avec curiosité que l’on pourrait alors voir un opéra d’après Mishima, dû à un compositeur japonais peu connu des Occidentaux. Quelques mois plus tard, ce premier festival Arsmondo a lieu, et c’est une réussite qui donne envie de découvrir les prochaines éditions (l’opéra programmé en 2019 devrait être bien plus exotique encore…).
Le Pavillon d’or vient donc de connaître sa première représentation française et l’on découvre ainsi Toshiro Mayuzumi (1929-1997), contemporain de son bien plus illustre confrère Takemitsu. Mayuzumi est certes japonais, mais l’opéra présenté à Strasbourg n’arrive pas en droite ligne du pays du soleil levant, puisqu’il fut composé sur un livret en allemand (de Claus Hanneberg, également auteur de l’adaptation de Lear pour Aribert Reimann) et créé à Berlin en 1976. Ce que l’on remarque d’emblée, c’est qu’à l’heure où la plupart des Occidentaux s’acharnaient à déconstruire le genre opéra et à imposer aux solistes des lignes de chant inhumaines, Mayuzumi refuse résolument cette voie-là. Sa musique percutante évite l’écueil d’une modernité stridente, mais sans jamais sembler le moins du monde passéiste. Le Pavillon d’or est une partition de notre temps, caractérisée par une vraie recherche sur les timbres, sur les rythmes, mais également respectueuse de cet instrument fragile qu’est le gosier humain (et de cet autre instrument un peu moins fragile que sont les oreilles humaines). L’Orchestre philharmonique de Strasbourg lui rend pleinement justice, sous la baguette exigeante de Paul Daniel, qui met en valeur la subtilité des textures instrumentales comme la force des moments d’émotion intense. La version que présente néanmoins l’Opéra du Rhin a été resserrée, raccourcie, car le programme de salle laisse voir quantité de passages coupés dans un livret probablement un peu bavard, trop proche du roman ou trop explicite. On est heureux d’avoir quand même pu découvrir cette œuvre, même si l’on se demande à quoi elle ressemblerait dans sa version intégrale, avec peut-être une heure de musique en plus.
© Klara Beck
Pour sa mise en scène, Amon Miyamoto a eu l’intelligence de se mettre au service de l’œuvre, avec un spectacle d’une grande fluidité, où la mobilité des éléments de décor permet de passer sans heurts d’une scène à l’autre. Le Kinkaku-ji, ce templs que le protagoniste incendie pour s’affranchir du poids de la Beauté, montré par les projections vidéo, tantôt suggéré par un vaste panneau tapissé de feuille d’or. La présence d’un danseur, double du héros, ajoute son dynamisme aux scènes moins mouvementées. Les costumes aident à identifier les personnages, notamment grâce à l’opposition claire entre l’ami qui tire Mizoguchi vers le Bien et celui qui le pousse vers le Mal.
Les personnages féminins sont rares et ont peu à chanter : en Uiko, Fanny Lustaud n’a guère que quelques phrases à interpréter mais s’en acquitte très correctement, de même que la Mère de Michaela Schneider, mais la Jeune fille de Makiko Yoshime, d’une immense élégance en scène, semble affligée d’un vibrato un peu trop prononcé. Tous les autres personnages sont masculins, et parmi les figures secondaires on remarque le prieur sonore de Fumihiko Shimura, ou le Père émouvant d’Yves Saelens. Dominic Große compose un Tsurukawa presque naïf à force de bonté, tandis que Paul Kaufmann fait un Kashiwagi délicieusement maléfique. Dans le rôle écrasant de Mizoguchi, Simon Bailey porte le spectacle sur ses épaules, presque constamment en scène, sans que jamais sa voix ne semble éprouvée par le conflit vécu par son personnage torturé.
Enfin et surtout, les Chœurs de l’Opéra du Rhin imposent leur présence vigoureuse et nuancée, dans une partition qui ne cesse de faire appel à eux, ce qui permet d’introduire une dose supplémentaire de voix féminines dans cet univers grave.