Reprise au Théâtre National du Capitole de Toulouse de la magnifique production des Nozze di Figaro de Marco Arturo Marelli. Proposition on ne peut plus classique que nous saluons sans réserve. C’est chic qu’on sache aujourd’hui encore monter des Noces avec tout ce qui doit s’y trouver : le futur lit des mariés qu’il faut mesurer, le chérubin qui se cache sous un drap avant d’être découvert, les situations vaudevillesques, la forêt labyrinthique où tout va se dénouer et ces costumes qui à eux seuls disent la situation sociale des protagonistes. Ne boudons pas notre plaisir ; nous avons ri des situations comiques, admiré les magnifiques lumières de Friedrich Eggert et goûté les quelques belles trouvailles de mise en scène comme ce piano forte recouvert d’un drap et que la Comtesse, au III, au cours de son air « Dove sono i bei momenti », découvre lentement, avant de l’ouvrir et de s’y asseoir, nous rappelant alors qu’elle est encore, ou voudrait être encore, la Rosine qui, jeune fille, prenait ses cours de musique pendant qu’Almaviva la courtisait. Il y a, pour le dire simplement, une parfaite fidélité au texte et ses didascalies, et c’est très bien ainsi.
Hervé Niquet abandonne pour cette fois son ensemble Le Concert Spirituel et s’empare de l’orchestre national du Capitole ; et comme toujours, il a ses idées. Dans un souci là aussi de fidélité à l’original, les musiciens sont quasiment à fleur de scène. La fosse n’a plus de profondeur, le chef, sans baguette, modèle littéralement la musique de ses propres mains dans une gestuelle à la fois rigoureuse et esthétique, pour ne pas dire sensuelle. Il est au milieu des siens d’un soir, assis juste devant le piano forte (qui nous vaudra, au passage, des récitatifs magnifiquement conduits et ornés), et tournant le dos aux vents.
Cela s’avèrera toutefois une fausse bonne idée, car l’orchestre au complet déploie, dès les toutes premières mesures, une puissance sonore, dont on pressent qu’elle pourra écraser la scène. L’ensemble est sinon irréprochable, les cordes parfaitement en ligne, des vents impeccables et des percussions enrichies de tambours utilisés dans le « Non piu andrai » et dans le finale du III. Les tempi utilisés sont rapides ; trop rapides ? Il nous a semblé que des moments comme « Voi che sapete » ou la marche du finale du III (« Ecco la marcia ») auraient gagné à être pris plus lentement. L’enchaînement systématique air-récitatif, sans laisser le temps de souffler est bienvenu ; il permet à l’action de s’écouler sans temps mort et donne rythme et souffle à l’ensemble.
Michael Nagy (Almaviva) est annoncé souffrant. Il rendra pourtant une copie magnifique donnant souffle au personnage, jouant toutes les facettes du caractère du Comte, tour à tour entreprenant, enjôleur, séducteur, mais aussi colérique, jaloux, emporté et finalement capable de s’amender (jusqu’à la prochaine fois sans doute !). Mieux que son jeu, il y a la voix justement posée qui s’impose sans forcer ; le baryton est décidé, franc, sans aspérité avec peut-être, ce soir, un souffle moindre qu’à l’accoutumée ; il reçoit de justes ovations. Il est en réalité le seul des rôles principaux à ne pas souffrir de l’imposante masse orchestrale évoquée plus haut. En ce sens qu’il la domine sans que l’effort altère la ligne vocale. On ne pourra pas en dire autant des autres protagonistes. Tous parviendront certes, et c’est notable, à s’imposer face à l’orchestre, mais cela se fera au détriment de nombre des nuances que nous attendons dans le chant mozartien. Le forte, pour ne pas dire le fortissimo, l’emporte trop souvent ce soir-là. Cela est particulièrement sensible dans les –nombreux – ensembles (notamment le septuor du II) où, du coup, les différentes parties sont plus difficiles à distinguer.
© Mirco Magliocca
Karine Deshayes prend le rôle de la Comtesse ; saluons le magnifique récitatif et air du III où les émotions, et du coup les nuances se libèrent. La ligne est parfaitement conduite et les aigus dans le piano se tiennent. Anaïs Constans, régionale de l’étape puisqu’elle a été formée au CRR de Toulouse, est une Susanne bravache, forte de caractère ; la ligne est toutefois tendue et les aigus s’imposent en force parfois. C’est pour elle aussi une prise de rôle. Il en va de même de Julien Véronèse qui inaugure un Figaro ayant ce soir un peu de mal à entrer dans le rôle ; la posture est un peu raide, il manque du liant, mais tout se dénouera au fil de la soirée. Belle agilité de la voix, chaleur du timbre mais quelques aigus approximatifs.
Eléonore Pancrazi est un Chérubin virevoltant ; elle doit prendre ses deux airs sur un tempo rapide, nous le disions, mais elle en vient à bout sans dommage. Ingrid Perruche est une actrice reconnue et nous fait encore bien rire ce soir. Frédéric Caton est impayable dans son « La vendetta » avec toute la virtuosité nécessaire. Emiliano Gonzalez Toro est un parfait Basilio et Pierre-Emmanuel Roubet bégaie à l’envi les tirades de Don Curzio. Voix encore jeune de Caroline Jestaedt dans le rôle de Barberina.
Nous quittons la salle enivré de cette musique, avec la conviction aussi que ce Mozart-là n’a besoin que de peu de moyens pour s’imposer. Il nous a été donné d’entendre des versions quasi-chambristes des Da Ponte ; à tout prendre ce seront celles que nous préférerons.