Drôles de Noces que celles présentées par l’Opéra du Rhin. On a déjà vu Figaro se marier dans un atelier de couture, grâce à Christoph Marthaler, dans des bureaux, grâce à Richard Brunel, donc la transposition dans une maison de haute couture, choisie par Ludovic Lagarde, n’aurait rien de bien surprenant si ce choix était assumé avec plus de cohérence : en l’état, on a l’impression que c’est simplement un truc auquel le metteur en scène a recours deux ou trois fois, pour meubler quand il ne sait comment occuper les chanteurs. Arnaud Richard n’est pas le plus éloquent des Bartolo, et sa « Vendetta » passe d’autant plus complètement inaperçue que Marie-Ange Todorovitch, sonore Marcelline – devenue ici première d’atelier – ne cesse pendant cet air d’examiner divers échantillons de tissu que des assistants lui soumettent. Même chose pour « Hai già vinta la causa » : le comte couturier passe tout cet air à rectifier la tenue d’un mannequin qu’il humilie ensuite en lui barbouillant la bouche de rouge à lèvres. A part ça, l’action se déroule à peu près comme Beaumarchais l’avait prévu, sans que les enjeux de l’intrigue soient mieux mis en lumière que si tout se déroulait au château d’Aguas-Frescas au XVIIIe siècle. A la fin du dernier acte, situé dans un décor nu où les pavillons du jardin ressemblent plutôt à des sanisettes, tous les solistes reviennent outrageusement maquillés, et le mannequin précédemment humilié reparaît transformé en femme à barbe vêtue d’une tenue ambiguë, mi-comte, mi-comtesse : invitation à accepter la part de féminin et de masculin qui est en chacun de nous ? Le trouble dans le genre avait déjà été semé par un Basile devenu, comme Marceline, première d’atelier, Gilles Ragon s’inscrivant ainsi dans la lignée des nourrices monteverdiennes, traditionnellement confiées à un ténor (mais peut-être aurait-il fallu revoir les surtitres pour les accorder avec cette décision).
© Klara Beck
Heureusement, la distribution révèle une superbe Suzanne : la soprano lituanienne Lauryna Bendžiūnaité qui, malgré la blouse blanche de manucure qu’on lui impose pendant trois actes sur quatre, parvient à déployer un timbre délicieusement charnu et un irrésistible talent scénique. On espère que ses débuts en France seront suivis de bien d’autres engagements. Dans sa robe à paniers destroy, Marie-Antoinette revue par Vivienne Westwood, Vannina Santoni est elle aussi une belle artiste, mais qui trouvera peut-être mieux à s’épanouir dans un autre répertoire, car les exigences du chant mozartien semblent un peu contraignantes pour une voix déjà bien large. Catherine Trottmann dessine un joli Chérubin, dont on attend maintenant que les promesses se confirment avec sa Rosine au Théâtre des Champs-Elysées. Si Andreas Wolf a la maîtrise de la tessiture, Figaro n’en a pas moins déjà connu des titulaires à la voix plus riche aux deux extrêmes, et la mise en scène n’aide guère le chanteur à donner une vraie consistance à son personnage. Censément émule d’Alexander McQueen et autres enfants terribles de la mode, Almaviva est ici plus ridicule que menaçant, et son épouse ne craint pas d’écarter les cuisses pour tenter de l’apaiser (on est loin du BalanceTonComte). Davide Luciano a bien les moyens du rôle, et l’on souhaite que d’autres productions lui offrent l’occasion d’en approfondir les subtilités.
Evidemment, les numéros de Marceline et de Basile au dernier acte sont coupés – où faut-il donc aller pour les entendre ? – mais les chanteurs sont autorisés à orner discrètement leurs airs. Patrick Davin opte à certains moments pour des tempos étonnamment ralentis (le trio du premier acte), ou étonnamment rapides (« Conoscete, signor Figaro » au deuxième). Peut-être en partie à cause du rythme adopté, l’Orchestre symphonique de Mulhouse sonne parfois assez lourd, et le placement des vents tout à gauche de la fosse, s’il a l’avantage de mettre en relief certains traits habituellement moins nets, rend néanmoins les bois et les cuivres un peu trop sonores.