Condensé de l’année sur un long mois, l’Opernfestspiele de Munich est aussi l’occasion pour la Bayerische Staatsoper de montrer ses muscles et d’étaler le répertoire qu’elle programme ainsi que les distributions et chefs qu’elle sait réunir sur une courte période, démonstration évidente, d’année en année, de l’excellence de l’institution. Le Nozze di Figaro, vues par Christof Loy en 2017, reprogrammées en ce mois de Juillet n’en sont qu’une pierre supplémentaire : voici une solide représentation de répertoire, facilement reprise quelques soirs en été (ou dans l’année au besoin) dans laquelle n’importe quel chanteur ou chef peut venir s’insérer sans mal.
Ivor Bolton fouette le Bayerische Staatsorchester, ses violons graciles, ses vents et cuivres précis, à défaut d’être toujours poétiques. Contrastes et mises en avant contrapuntiques sont la colonne vertébrale d’un sens du théâtre jamais démenti, auquel on reprochera juste la sagesse des tempi dont certains auraient pu être plus relevés. Qu’importe, Mozart vit et ses traits de génie viennent irriguer la scène.
Christof Loy conçoit un spectacle assez sage sans être dénué d’intérêt et joue sur des effets de loupe. Pendant l’ouverture, un rideau de scène juste percé d’un rectangle nous présente un théâtre de marionnette qui mime la première scène à venir. Figaro y fait irruption et câline la poupée représentant Susanna. Théâtre dans le théâtre, jeu de dupe (qui tire les ficelles ?) : les jalons du chef-d’œuvre da Ponte /Mozart sont posés. L’idée suivra son cours avec un décor qui devient, comiquement, de plus en plus grand jusqu’à ne représenter plus qu’une porte immense. La direction d’acteur et ses effets comiques parsèment la représentation sans plus d’originalité. On regretta toutefois un quatrième acte où seules la convention théâtrale et la connaissance de l’œuvre font exister les jeux de cache-cache et de quiproquo dans les bosquets : le plateau reste nu devant la porte immense.
© Wilfried Hösl
Le plateau vocal apporte son lot de satisfaction. Appelé en dernière minute pour remplacer Marius Kwiecien souffrant, Christoph Pohl compose un Conte moins bourru et brutal que d’habitude. Son léger zozotement participe de ce portrait nuancé. La voix ne manque pas d’autorité dont il fait étalage dans l’air du IIIe acte. Alex Esposito emprunte certains des traits autoritaires de son maître et maltraite à plusieurs reprises sa « cara Susanna », volonté manifeste de la mise en scène. Le personnage dessiné par le baryton-basse italien s’avère pourtant truculent à souhait et l’interprète multiplie les accents et les nuances pour souligner son versant comique. Le reste de la distribution masculine appelle les mêmes éloges : Peter Rose en impose en Bartolo, Manuel Günther brille grâce un timbre clair dans l’air souvent coupé de Basilio, Dean Power bafouille avec art les interventions de Don Curzio et Milan Siljanov dispose et de la stature et des accents benêts d’Antonio. Chez ces dames, on regrette qu’Anna El-Kashem ne dispose que du cours arioso de Barbarina pour faire entendre son timbre fruité, là où le Cherubino trémulant de Rachael Wilson manque de séduction. Olga Kulchynska (Susanna) l’emporte sur sa maîtresse dans ce rôle marathon qu’elle soutient sans faille avec des accents malicieux et un phrasé irréprochable. Son air du IVe acte restera comme un vrai moment de poésie tout en douceur et en piano. Rachel Willis-Sorensen, le soprano qui monte, livre une performance en demi-teinte : « porgi amor » pris à froid reste tout à fait extérieur avant que la voix ne finisse de se chauffer pendant les ensembles menés avec un vrai flair scénique. « Dove son i bei momenti » s’avèrera bien plus convaincant même si l’on sent toute la prudence de la soprano dans la reprise piano. Enfin, et c’est là encore une fois le signe d’une maison de répertoire respectueuse de son histoire et de sa tradition, Anne Sofie von Otter régale de sa présence en Marcellina, même si la voix ne suit pas toujours. Peut-être est-ce la raison pour laquelle elle substitue « Abemdempfindung » du même Mozart au « il capro e la capretta » du dernier acte, offrant ainsi à son public un air simplement accompagné au clavier et un vrai moment de communion hors de l’opéra.