La soirée d’ouverture des Grandes Voix aura été l’occasion de confronter deux fortes personnalités.
D’un côté le naturel d’Antonino Siragusa, qui s’autorise une échappée concertiste entre deux représentations du Barbier de Séville à l’Opéra Bastille. Les Rossini, Elisabetta Regina d’Inghilterra et Cenerentola, le montrent dans son élément : émission haute et virtuosité impeccable démontrent qu’il n’a de leçons à recevoir de personne dans ce répertoire. Mais le ténor prouve également dès son premier air qu’il n’est pas seulement une machine à vocalises : la rebattue « Furtiva lagrima » chantée tout en nuances réussirait encore à nous faire frissonner, par la grâce de magnifiques mezza voce. Le haut medium, toujours un brin nasal, sonne cependant plus étoffé dans la salle du Théâtre des Champs Elysées, à la taille plus humaine que celle de Bastille, et les aigus jaillissent libres et puissants, sans effort jusqu’au contre ré dans le « Vieni fra queste braccia ». L’homme est charmeur sur scène, multipliant les gestes et mimiques à l’adresse du public, et l’artiste d’une extrême générosité : il bisse sans hésiter le « Pour mon âme » (18 contre-uts d’un coup !), alors qu’il avait déjà enchaîné sans faiblir, un air d’Elisabetta, un duo de La fille du régiment et qu’il continuera ensuite, sans pause aucune, avec le duo de I Puritani, et une « Donna e mobile ». Une telle santé vocale, un tel enthousiasme, ne peuvent qu’emporter l’adhésion.
De l’autre, l’artifice de Sumi Jo, qui annonce la couleur en arrivant dans une superbe robe de soie froissée fuchsia avec traîne orange1 : la soirée sera placée sous le signe du spectaculaire ! Ses deux premiers airs, « Care compagne » et « Caro nome » laissent partagés, entre admiration et exaspération. Malgré un vibrato perceptible au début, qui s’efface heureusement rapidement, la voix paraît étonnamment préservée, avec un médium chaleureux qui s’est étoffé. En revanche, le bas de la tessiture gêne davantage la soprano (cela s’entend particulièrement dans le duo de I Puritani où elle est constamment couverte par son partenaire), et le registre aigu, toujours étendu, semble s’être un peu étiolé, les suraigus étant rarement émis à pleine voix. On reste surtout impressionné pour la technique superlative de la cantatrice : variations à l’envie, notes piquées, ou petit effet diminuendo suivi d’un crescendo impressionnant (qu’elle nous ressert deux fois de suite au cours du concert), la diva semble se jouer des contraintes. Malheureusement, on flirte plus d’une fois dangereusement avec le numéro de cirque ; la cantatrice est totalement extérieure à ce qu’elle chante, se trémousse dans les coloratures, bat des cils. Cela ne pardonne pas dans le « Care compagne » qui vire à la Poupée des Contes d’Hoffmann. Le public ne lui en tient pas rigueur et lui réserve un triomphe. Cette virtuosité débridée trouvera bien davantage à s’épanouir en deuxième partie, dans l’aria « C’est bien l’air que ce matin », pièce de pure vocalise dans laquelle la voix rivalise avec deux flûtes traversières. Son « Son vergin vezzosa » se transforme également en démonstration avec force coloratures et variations à outrance, mais moins déplacées qu’ailleurs, dans cette polonaise brillante.
Les duos sont l’occasion de noter une belle complicité entre les chanteurs, qui ne semble pas seulement de façade – Sumi allant chercher un verre d’eau pour son partenaire ou Antonino entraînant sa partenaire dans quelques mouvements de valse dans le dernier bis – et un plaisir visible de chanter ensemble : les voix s’apparient remarquablement, l’alliance du naturel et de l’artifice donnant finalement naissance à un très belle soirée de bel canto.
Un mot encore sur l’Orchestre national d’Ile de France sous la direction de Daniele Callegari, qui fait montre d’une belle énergie dans l’ouverture de Guillaume Tell, mais qui doit surveiller une inclination fâcheuse au fff, tendant à couvrir les chanteurs.
1 En deuxième partie elle revient avec une robe plus sobre, couleur rubis et couverte de strass (tout de même !).