Il n’y a pas de miracle. En débarquant à Munich, La Cenerentola mise en scene par Jean-Pierre Ponnelle, que l’on a pu (re)decouvrir à Paris la saison passée (voir recension), n’a pas retrouvée sa jeunesse perdue. On déplore avant tout qu’elle réduise le dramma giocoso de Rossini à une bouffonnerie. Avant « giocoso », il y a tout de même le mot « dramma » sur lequel cette production tire un double trait. Reconnaissons tout de même que le spectacle semble mieux rodé qu’à Paris. Est-ce l’attrait de l’exotisme (c’est bien connu, c’est toujours mieux ailleurs) mais les tableaux s’enchaînent sans mollir, les gags font mouche, le décor de toiles peintes au dessin démodé, les costumes sentent moins la naphtaline…
L’attrait de l’exotisme ou une alchimie particulière ? La combinaison d’un chef rompu à ce répertoire – Antonello Allemandi, précis, sensible et enjoué comme il se doit -, d’un des meilleurs orchestres au Monde – un Bayerisches Staatsorchester aux sonorités d’une rondeur jubilatoire – d’un chœur masculin cohérent (Chor der Bayerischen Staastoper) dont le volume n’empiète pas sur celui des solistes et d’une distribution sans égale.
Mis à part Nikolay Borchev, peu connu des rossiniens bien qu’il chante Figaro, et dont le Dandini vocalise parfois à l’emporte-pièce, tous les chanteurs réunis figurent parmi les meilleurs interprètes de leur rôle, (pour ne pas dire les meilleurs) : Alex Esposito, Alidoro de luxe (le magicien n’a qu’un seul air après tout), l’un des seuls capable d’interpréter en le variant « Là del ciel nell’arcano profondo (souvent coupé car trop tendu pour une basse) ; Alessandro Corbelli, Don Magnifico inusable de vis comica sans que jamais la farce ne prenne le pas sur le chant, un modèle de longévité vocale et d’intelligence scénique, presque un monument (son Falstaff, son Gianni Schicchi font date et s’inscrivent dans la noble lignée de ce Baron von Monte – c’est le titre de Don Magnfico) ; Lawrence Brownlee, Don Ramiro sur la réserve, avec toujours ce défaut d’éclat qui nuit à ses compositions, mais dont la valeur se révèle le temps d’un « Si, ritrovarla io giuro », éblouissant de technique et de suraigu ; Joyce DiDonato, Cenerentola rayonnante bien qu’annoncée souffrante. On s’interroge sur ce que peut donner son Angelina en bonne santé tant tout ce que la mezzo-soprano offre dans ce rôle s’avère exceptionnel. Le rondo final, évidemment étincelant de virtuosité mais pas seulement. Rien n’est gratuit dans ce chant rutilant, chaque note signifie. L’égalité des registres, le naturel de l’interprétation (naturel dont on sait qu’il est le plus difficile à acquérir), la précision de l’ornementation, la variété des effets (dont, denrée rare, un trille irréprochable), tout est admirable.
Même les deux sœurs, Paola Gardina en Tisbe et Eri Nakamura qui interprétait deux soirs auparavant Woglinde dans L’Or du Rhin sans vraiment nous emballer, sont tout aussi bien chantantes qu’amusantes. Et lorsque l’on se surprend plusieurs fois à sourire, comme la première fois, on se dit qu’après tout, si, il y a des miracles.
Version recommandée :
Rossini: La Cenerentola | Gioacchino Rossini par Cecilia Bartoli